À NOTRE RÉALITÉ ET AUX PETITS TRANSPORTEURS
En 2010, le Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne (CCRAC) a mis sur pied un groupe de travail chargé d’examiner le Règlement de l’aviation canadien (RAC) et de proposer des modifications à ses dispositions en ce qui a trait à la gestion de la fatigue des équipages de conduite. La décision de constituer un groupe de travail a été influencée par la publication d’une version révisée des normes et pratiques internationales par l’OACI. Elle a recommandé que les États membres revoient leur réglementation actuelle en matière de temps de vol et de temps de service de vol afin de déterminer si elle est conforme à sa version révisée et si elle repose sur des connaissances scientifiques à jour.
C’est au mois d’août 2012 que le groupe de travail a remis son rapport final et c’est au mois de septembre 2014 que le Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne (CCRAC) a soumis à Transports Canada un avis de proposition de modification (APM) au Règlement de l’aviation canadien. L’APM a été suivi le 8 août 2015 par la publication d’un Avis d’intention dans la partie 1 de la Gazette du Canada, confirmant l’orientation adoptée par le ministère.
La nouvelle réglementation sur les heures de vol et de temps de service propose des modifications qui feraient en sorte d’ajouter une limite, qui n’existait pas auparavant, de 60 heures de service par période de 7 jours et de 190 heures de service par période de 28 jours. La limite des heures de vol, quant à elle, serait maintenue à 112 heures par période de 28 jours et passerait de 1200 à 1000 heures par année.
Les plus importantes modifications à la réglementation actuelle sont apportées aux heures de service maximum par période de 24 heures alors que le temps de service de base sera limité à 13 heures par jour et serait réduit en fonction du nombre de segments de vol et l’heure à laquelle le membre d’équipage aura débuté son service. Voir le tableau suivant :
Cette nouvelle méthode de calcul des heures de service maximum est un simple copier-coller de ce qui existe dans d’autres pays membres de l’OACI et ne tient aucunement compte de la réalité du Nord canadien. En fonction du tableau ci-haut, si on prend pour exemple un pilote qui débute son service à 5 h le matin et que ce dernier effectue 5 vols durant l’avant-midi, puis deux autres en début d’après-midi, il devrait céder sa place à un autre pilote dès 14 h. Tout au plus, ce pilote pourrait rester en service jusqu’à 16 h. Les besoins en transport aérien dans le Nord ne sont pas répartis également au cours de l’année alors qu’ils sont à leur apogée durant la courte saison d’été et sont réduits de beaucoup durant la période hivernale. Telle que proposée, la nouvelle réglementation pourrait rendre carrément impossible l’exécution de contrats demandant de nombreuses heures de vol sur de courtes périodes.
Un autre problème au sujet de cette nouvelle méthode est que le calcul des heures de service maximum s’applique uniformément à tous les membres d’équipages, sans égard au type d’opération aérienne qu’ils effectuent et sans tenir compte des variations dans la charge de travail que cela peut comprendre. Ainsi, selon Transports Canada, il n’y aurait pas de différence dans la charge de travail entre faire un atterrissage en King Air 100 sur une piste asphaltée de 150 pieds de large sur 6000 pieds de long dans des conditions météo de vol à vue et faire une approche de précision sur la même piste avec un Boeing 737-200 alors que les conditions météo sont tout près des minimums. Si l’OACI a recommandé aux États membres de réviser leurs réglementations en se basant sur des connaissances scientifiques, par contre il serait utile de savoir quelle étude permet de conclure qu’il n’y a pas de différence entre piloter un King Air 100 en VFR et un Boeing 737 en IFR.
Dans son évaluation servant à déterminer le nombre d’heures de service maximum dans une journée, le CCRAC prend en considération une étude qui stipule que pour obtenir 8 heures de sommeil véritable, un membre d’équipage a besoin de près de 12 heures de repos en tenant compte, entre autres, du temps de déplacement entre le lieu de résidence et le travail. Mais, sans justifications, le CCRAC a réduit d’une heure le temps de repos minimum par rapport à la recommandation de l’étude et sans tenir compte de la réalité des petites communautés nordiques. Pour le CCRAC, le temps nécessaire pour se rendre au travail est le même pour un pilote, qu’il réside à Toronto, Montréal, Val-d’Or, Blanc-Sablon ou encore Kuujjuaq. On utilise une étude qui a été réalisée dans des grands centres urbains américains et européens sans l’avoir adaptée à la réalité des petites municipalités canadiennes qui dépendent du transport aérien.
Dans la partie intitulée « Énoncé du problème et considérations stratégiques » de son document de recommandations, le CCRAC reconnaît que la nouvelle réglementation aura des impacts considérables pour les petits transporteurs aériens : « Les effets sur les exploitants visés par les sous-parties 703 et 702 seront importants. » Dans les faits, les compagnies aériennes qui opèrent selon la sous-partie 703 vont devoir pratiquement doubler le nombre de pilotes à leur emploi et ouvrir des campements pour ces derniers quand elles opèrent dans des régions éloignées afin de répondre aux nouvelles normes. Ces nouvelles contraintes opérationnelles auront pour effet de faire bondir le coût du transport aérien en régions éloignées.
L’objectif d’augmenter la sécurité aérienne de cette nouvelle réglementation est discutable, d’abord à cause du manque de données scientifiques quant au lien à faire entre la fatigue et le nombre d’accidents d’avion. Le CCRAC reconnaît lui-même qu’il n’a pas de données valables dans sa déclaration suivante : « Il est indéniable que la fatigue nuit au rendement humain. Cela ne veut pas dire que tous les accidents attribuables au rendement humain soient causés par la fatigue, mais il est raisonnable de présumer que la fatigue est un facteur contributif. » Le CCRAC présume qu’il y a un lien, même s’il n’est pas en mesure de dire quel est le pourcentage des accidents d’avion liés à la fatigue ni de prédire quel sera l’effet exact des nouvelles mesures sur la sécurité aérienne. Par contre, il est clairement établi que l’expérience d’un pilote l’aide grandement dans sa prise de décision et l’évaluation du risque. Comme la nouvelle réglementation va forcer l’embauche d’un plus grand nombre de pilotes sans expérience, on peut se questionner si l’effet recherché est atteint.
Dans une mise à jour datée du 22 juin, on apprend que Transports Canada renonce à soumettre à la nouvelle réglementation les opérateurs qui ont des certificats d’exploitation selon les sous-parties 604 et 702 du RAC. Pour les compagnies ayant des certificats d’exploitation selon la sous-partie 705 du RAC, le délai d’application sera de 12 mois après la publication dans la partie II de la Gazette du Canada et que pour les certificats d’exploitation selon les sous-parties 703 et 704, le délai d’application serait de 48 mois après la publication qui est prévue au printemps 2017. Dans cette mise à jour, Transports Canada fait un pas dans la bonne direction en reconnaissant l’ampleur des changements à venir, en renonçant à les imposer à l’ensemble de l’industrie du transport aérien. Nous souhaitons que la réflexion se poursuive afin d’exclure également les opérations aériennes régies par les sous-parties 703 et 704 du RAC.
L’application de la nouvelle réglementation nuirait grandement aux compagnies aériennes ayant des certificats d’exploitation selon les sous-parties 703 et 704 ainsi que les clients qu’elles desservent, dont de nombreuses petites communautés nordiques ainsi que l’industrie de prospection et de développement minière. De plus, cela mettrait en péril le développement économique du Nord québécois.