Pilotes, propriétaires, chefs d’entreprise, directeurs de la maintenance, levez la main très haut si vous n’avez jamais mis de pression sur un technicien pour avoir un appareil plus rapidement! Ou bien, sans trop vous en rendre compte, avez-vous déjà forcé ce même technicien à faire des heures additionnelles pour ces mêmes raisons? Moi-même, en tant qu’ancien directeur de maintenance et gestionnaire d’un OMA, je ne pourrais lever ma main. À vrai dire, la majorité des techniciens ne pourraient probablement pas lever leur propre main concernant la pression qu’ils s’imposent à eux-mêmes.
L’idée ici n’est pas de blâmer qui que ce soit, mais de faire certains parallèles entre tout ce beau monde. Beaucoup de personnes sont impliquées dans la réussite de chaque vol, que ce soit un Cessna 150 piloté par un étudiant et son instructeur ou bien un Boeing 747 avec un commandant ayant 15 000 heures de vol à son actif. Un fait demeure, les facteurs humains et les prises de décision sont toujours un facteur contributif dans un accident aérien. Même lorsque la cause principale est de nature mécanique, la personne qui manipule l’aéronef peut faire la différence entre un simple incident et une catastrophe mortelle.
Pour obtenir sa licence de pilote privé, le cours théorique comporte une section sur les facteurs humains et la prise de décision. Lorsque ce même pilote travaille pour une compagnie aérienne, il sera dans l’obligation de suivre une formation récurrente sur le même sujet. Qu’en est-il des techniciens? Eh bien, si vous vous souvenez de ma chronique où je traitais de la différence entre un technicien à son compte et un technicien travaillant pour un organisme de maintenance agréé (OMA), vous vous rappellerez que ce dernier aura également à suivre une formation sur les facteurs humains avec une récurrence tous les trois ans au minimum. Cela s’applique également à tous les employés d’un OMA qui travaillent ou manipulent des aéronefs, des pièces ou de la documentation aéronautique. Le cursus de la formation des facteurs humains pour les TEA, tels que prescrits par Transports Canada, porte sur les 12 maux d’une entreprise. En anglais, ils sont appelés les « dirty dozen », les douze salopards si on fait une traduction littéraire.
Ces 12 maux sont :
- Le manque de communication
- La complaisance
- Le manque de connaissance
- La distraction
- Le manque de travail d’équipe
- La fatigue
- Le manque de ressources
- La pression
- Le manque d’affirmation de soi
- Le stress
- Les erreurs de jugement
- Les normes
Maintenant, j’aimerais mettre l’accent sur la pression. Il est évident que l’on pourrait facilement écrire un livre complet de plusieurs centaines de pages sur les facteurs humains : ils ont d’ailleurs déjà été écrits. Mais je souhaite apporter ma touche personnelle à certaines situations que l’on vit quotidiennement dans notre travail. Ce n’est pas pour se plaindre, mais plutôt pour prendre le temps de mettre les choses en perspective. Ici, je vais me concentrer sur la relation pilote propriétaire / technicien.
Il y a différents types de pression qu’un client peut exercer sur un technicien. Nous allons voir certaines situations que l’on rencontre souvent dans un atelier et les moyens pour atténuer cette pression.
Il est souvent d’usage de penser que plus un appareil sera longtemps dans l’atelier, plus ça va coûter cher. Dans certains cas, c’est vrai. Cela amène parfois le client à mettre de la pression pour avoir son aéronef plus rapidement, quitte à inventer un voyage important. Un moyen relativement simple pour contrer ce phénomène est de s’assurer d’avoir des soumissions à tarifs fixes pour les travaux demandés. Même chose pour les réparations de défectuosités découvertes durant une inspection annuelle, par exemple. Cela vous sécurisera et vous enlèvera un peu de pression, ce qui pourrait éviter que vous ayez à en transférer sur le dos du technicien.
Une autre situation qui fait qu’un client mettra de la pression, c’est de planifier un vol juste avant la maintenance planifiée. Si vous prévoyez un voyage important et que vous entrez votre appareil à l’atelier pour une inspection ou une modification une semaine avant votre départ, il se peut que ce soit un peu serré. Cela mettra de la pression sur toutes les personnes impliquées dans la réussite de ce vol, incluant vous-même. Vous pouvez donner un coup de main si vous prévoyez adéquatement la maintenance planifiée de votre appareil. Beaucoup de propriétaires attendent le printemps pour faire exécuter leur inspection annuelle et ont hâte de voler, car le beau temps est arrivé. D’autres propriétaires ne connaissent même pas la date de leur dernière inspection et ont subitement un choc de constater qu’ils volent depuis quelques semaines alors qu’ils ne devraient même pas le faire.
Assurez-vous de suivre adéquatement le calendrier de vos inspections et de bien connaître vos obligations concernant la maintenance de votre aéronef; cela vous permettra de planifier celles-ci en lien avec vos activités. Prévoyez du temps additionnel en cas de pépins ou de retard. Ce n’est pas parce que vous prévoyez une date déterminée pour la maintenance que l’atelier aura des disponibilités. Le secret est dans la planification.
Une pratique que l’on voit parfois est de donner un bonus si le travail est fait plus rapidement. Ça peut paraître intéressant, mais c’est souvent un piège. Est-ce que le travail sera aussi bien exécuté si un bonus est relié à une date de livraison hâtive? Si un tarif fixe a été déterminé pour l’ensemble des travaux et qu’une date de livraison est déjà fixée, il n’est peut-être pas nécessaire d’avoir cette option de bonus. Cela ajoutera peut-être de la pression supplémentaire sur le technicien. Je suggère simplement de vous entendre sur une date de livraison et de se laisser un peu de marge de manœuvre pour les imprévus. Si la communication est bonne et le travail est honnête, il ne devrait pas y avoir de problème. Au lieu du bonus, faites tout simplement savoir votre appréciation du travail exécuté par votre atelier. Ce sera encore plus gratifiant pour l’ensemble des techniciens ayant travaillé sur votre aéronef.
Évidemment, il y aura toujours des situations que l’on ne contrôle pas vraiment. Un bris juste avant un départ peut arriver et vous retarder. Mais même ce genre de situation peut être atténué avec de la maintenance préventive adéquate et une bonne relation avec notre technicien préféré. La maintenance préventive minimisera ce genre d’événement et une bonne relation vous aidera lorsque cette première aura atteint sa limite. Un client mérite toujours un bon service, mais un bon service mérite aussi un bon client.
La pression qu’un client met sur le technicien est parfois justifiable et on pourrait en discuter pendant longtemps. Mais justifiable ou non, quels seront ses effets sur ce dernier? Tout être humain reçoit une certaine dose de pression de son environnement. Cette pression peut provenir d’une situation familiale difficile, d’une situation de santé ou bien de l’environnement de travail. Les personnes ne réagissent pas toutes de la même façon à la pression. Certains seront plus productifs; d’autres s’écrouleront tout simplement. Tout cela n’est pas évident, car nous parlons de réaction humaine et non pas de machine.
La grande majorité des techniciens que je connais sont très fiers de ce qu’ils font et ont le souci du travail bien fait. Ils se mettent eux-mêmes énormément de pression. Il est assez commun de les voir allonger les heures de travail pour s’assurer de livrer un aéronef pour satisfaire un client ou leur patron, ce qui peut engendrer du stress additionnel et de la fatigue, en plus de toutes les autres considérations personnelles et familiales.
Saviez-vous que contrairement au pilote professionnel, le nombre d’heures consécutives de travail d’un technicien n’est pas réglementé, tout comme les journées de congé? Un pilote devrait toujours se poser la question à savoir si la pression qu’il met sur le technicien est justifiée et nécessaire et s’il accepterait de courir le risque d’avoir un technicien stressé et fatigué travaillant sur son appareil avant un vol.
Cela étant dit, le technicien se doit de mettre ses limites également. Dans une prochaine chronique, nous pourrons examiner l’effet de la fatigue sur la performance d’un TEA et ce qui peut être fait pour la prévenir et minimiser ses effets.