SAVIEZ-VOUS QUE…

(NDLR : c’était effectivement une crise qui s’est terminée en saga)

À la fin des années 60, la question linguistique commence à faire les manchettes. On constate que 90 % des contrôleurs aériens au Québec sont unilingues anglais. La tension monte et le Québec est à la veille de vivre la saga du français dans l’air.

Au cœur du problème, l’impossibilité pour les francophones de s’exprimer dans leur langue, non seulement dans les communications avec les unités de contrôle (NDLR : unité est un terme générique regroupant les tours et les centres de contrôle) mais aussi entre eux, même dans les cabines de pilotage. Par exemple, un pilote francophone doit communiquer en anglais avec un contrôleur, même si celui-ci est francophone. Un interdit aberrant qui les frappait, même en territoire québécois. Le débat a enflammé le Canada entier. Au mois de juin 1974, après plusieurs études, le gouvernement fédéral émet un avis (NOTAM 12/74) aux navigateurs aériens autorisant graduellement l’usage du français dans les environs de certains aéroports contrôlés par le ministère, à savoir Québec, Saint-Jean, Sept-Îles, Baie-Comeau et Saint-Honoré, pourvu que le pilote en fasse la demande (NDLR : Saint-Hubert aussi à vérifier). Cette mesure était temporaire en attendant le rapport du groupe de travail BILCOM (pour Bilinguisme et Communication) devant être déposé au printemps 1975. Dès ce moment, le président de l’Association des pilotes de ligne du Canada (CALPA) réclame la révocation du NOTAM 12/74 et annonce au Time Magazine : « Si nous réussissons et que le gouvernement retire son programme de français dans les aéroports, il y aura des répercussions dans d’autres secteurs, particulièrement dans le secteur civil où cette affaire de bilinguisme et de biculturalisme est allée trop loin. »

La crise se reporte à l’année suivante, lorsqu’une grève des pilotes et des contrôleurs paralyse le pays pendant une semaine. Le capitaine F.E.W. Smith résume bien la position de la CALPA en écrivant : « Tout pilote professionnel responsable dans le monde sait bien qu’une seule langue commune devrait être utilisée pour le contrôle de la circulation aérienne. » Ce qui est totalement faux. En effet, dans ces années, l’OACI dénombre 83 pays à travers le monde où les services de contrôle de circulation sont disponibles dans plus d’une langue, ce qui témoignait ainsi d’un manque de respect flagrant envers une grande partie de ses propres membres.  Entre-temps, une note interne de la CALPA encourage les pilotes à interrompre, si nécessaire, toute envolée pour le Québec pour des raisons de sécurité. Plusieurs incidents de contrôle seront même provoqués de manière intentionnelle, entraînant une interdiction de redécoller à certains pilotes, une manière détournée d’attirer l’attention du public sur les prétendus dangers du bilinguisme. L’Association des gens de l’air, fondée le 19 septembre 1975 par un groupe mené par Roger Demers, met la main sur la note interne de la CALPA et la soumet à l’attention du ministre fédéral des Transports ainsi qu’aux médias.  Le Devoir titre : « En guise de protestation contre le français, multipliez les incidents, dit la CALPA aux pilotes. » Une commission d’enquête est instituée par le ministre et conclura : « La preuve au dossier démontre que l’efficacité d’exploitation ne sera pas affectée » et que « la mise en œuvre n’entraînera aucun coût d’importance. »

Durant l’été 1976, le député péquiste Claude Charron appuie la grande bataille de l’Association des gens de l’air. On évalue que le combat linguistique livré par cette association a été un des ingrédients ayant permis l’élection du Parti québécois en novembre 1976. C’est à partir de cette année-là que le gouvernement autorise graduellement l’usage du français dans les communications aéronautiques au Québec (VFR et IFR) et plus tard dans la région de la capitale d’Ottawa ainsi qu’à certains aéroports de l’Acadie. Une des dernières barrières venait de tomber pour les francophones.

 

Textes tirés : Journal des gens de l’air, l’approche directe, du site Internet de l’AGAQ, et du livre Au temps des premières ailes, de Pierre Thiffault, Éditions Typographe