Le Fairey Swordfish (Espadon) des Ailes d’époque du Canada, à Gatineau, Québec
Photo:  Pierre Lapprand

(Première partie)

Il était une fois un homme solitaire qui avait sur sa ferme plus d’une quarantaine d’avions, une trentaine de moteurs d’avions, une centaine d’hélices, des centaines de magnétos, différentes pièces d’avions, une cinquantaine d’armes à feu, 128 voitures des années 1940 à 1960, des camions militaires, plus de 100 motos, toutes sortes de moteurs, des tracteurs et des tonnes de ferraille. Ce qui commence ici comme une fable est en fait une véritable histoire. Pour ceux et celles qui la connaissent, je n’apprendrai rien, mais pour les autres, permettez-moi de vous présenter monsieur Ernest « Ernie » Simmons, résident d’une propriété proche de Tillsonburg, en Ontario, qui acheta énormément de surplus militaires à la fin de la Deuxième Guerre mondiale parce qu’il pensait qu’il y en aurait bientôt une troisième à cause du péril communiste et qu’il revendrait alors tout son stock avec bon profit. Mais, aujourd’hui on le sait, ce n’est pas arrivé. Et s’il y eut quelques ventes de son vivant, ce sont en fait surtout des vols qui eurent lieu. Après sa mort, tout le reste fut mis aux enchères les 3, 4 et 5 septembre 1970. Il fallut des mois pour préparer cette vente peu ordinaire, non seulement à cause de la quantité d’objets, mais parce qu’il fallut aussi les retrouver parmi les arbres qui avaient poussé un peu partout, ainsi que les artéfacts qui, avec les dizaines d’années, s’enfouissaient naturellement dans le terrain.

Le personnage

Ernie Simmons, que plusieurs ont qualifié d’excentrique, était un homme certainement très débrouillard, habile de ses mains et bon mécanicien. Ayant acheté 8 bombardiers biplans Fairey Swordfish (Espadons) et la totalité des 36 avions d’entraînement North American NA 64 Yale que vendait l’ARC à la fin de la guerre, il voulut les maintenir en bon état. Il faisait ainsi tourner régulièrement leurs moteurs, roulait avec dans son champ et passait du simple saut de puce au véritable vol! Déjà, à la ville d’à côté, on se plaignait du bruit; et avec raison, pour qui connaît le son tonitruant de moteur à échappement libre des moteurs radiaux. Ernie avait donc conçu et installé des pots d’échappement sur ses avions! Mais ce pilote autodidacte se « crasha » plusieurs fois à l’atterrissage. Il fut alors jugé trop dangereux et reçu l’ordre du conseil de la ville de couper les ailes de ses avions. Il le fit, bien sûr à contrecœur, ce qui le rendit plutôt aigri et renforça sa solitude. Des personnes mal intentionnées pensaient qu’il devait être riche… Se faisant trop souvent voler, il installa des pièges sur sa propriété, comme des fusils accrochés dans les arbres avec leurs gâchettes reliées à des ficelles. Il avait averti avec des pancartes du danger d’entrer chez lui par infraction. Mais un jour, après qu’un voleur lui eut réclamé de l’argent, il fut abattu et laissé pour mort. Il réussit, malgré tout, à réparer son téléphone et à appeler les secours. Après un long séjour à l’hôpital, pendant lequel sa ferme subit encore les visites de voleurs et de vandales, il revint chez lui, mais ne s’étant jamais rétabli, il mourut peu après.

Swordfish à vendre! On voit bien ici la version du Mark IV avec cockpit fermé et à quel point les avions s’enlisaient dans le sol avec le temps. Photos source Internet

La vedette

Grâce à lui, une trentaine de Yale ont survécu au temps, dont la moitié encore en état de vol. Mais aussi surtout grâce à lui et aux personnes dédiées à restaurer des avions, trois exemplaires de Fairey Swordfish ont traversé les décennies pour se retrouver parmi nous. Le Swordfish, cet énorme biplan bombardier-torpilleur de 14 mètres d’envergure, au passé glorieux, fut incontestablement la vedette de cette vente aux enchères. Quelques mots sur cet avion déjà rare en 1970 : issu de la technologie éprouvée des biplans de la Première Guerre mondiale, il avait été conçu par Fairey Aviation et construit par Fairey et The Blackburn Aircraft Company, en Angleterre, une firme spécialisée dans la production d’avions destinés à la marine. Il fit son premier vol en 1934 et fut en production continue de 1934 à 1944. Quelque 2396 exemplaires seront construits en tout. Il était utilisé à partir de navires marchands porte-avions (19 navires céréaliers et pétroliers furent ainsi convertis) hors de portée des chasseurs ennemis pour repérer la portée des canons de marine, et aussi par la Fleet Air Arm de la Royal Navy pour faire de la reconnaissance. Au début de la Seconde Guerre mondiale, le Swordfish équipait huit des dix unités de la Royal Navy embarquées sur porte-avions, ainsi que sept autres unités dont quatre basées à terre. Son rôle guerrier était de transporter, soit jusqu’à 1500 lb de bombes sous les ailes et le fuselage, ou bien une mine de 700 kg, ou encore des grenades, ou aussi bien une torpille de 730 kg et, pourquoi pas des roquettes! D’ailleurs, cette capacité à transporter toutes sortes d’armements lui valut le surnom de Stringbag par les Britanniques, faisant allusion à ces filets à provisions avec lesquels ils faisaient leurs courses! L’avion transportait un équipage de trois personnes : le pilote, l’observateur et le télégraphiste/artilleur. Celui-ci avait à sa disposition une Lewis ou une Vickers de calibre 303. À noter qu’il y avait aussi une mitrailleuse fixe dans le capot-moteur. Ce dernier était un Bristol Pegasus IIIM3 radial de 700 ch, pouvant faire fendre l’air à ce lourd biplan de deux tonnes à vide et jusqu’à trois tonnes et demie en pleine charge. Son rayon d’action dépassait 800 km, son plafond atteignait 5870 m, sa vitesse maximale était de 224 km/h à l’altitude de 1450 mètres. Malgré son look obsolète d’avion entoilé, le Fairey Swordish était une excellente plate-forme de bombardier-torpilleur parce qu’il était très stable. Il pouvait voler allègrement à moins de deux mètres au-dessus des flots. Il était robuste, ses ailes étaient renforcées et il était facile d’entretien. Surtout affecté à la chasse anti-sous-marine dès 1941, il fut crédité de la destruction de quatorze U-Boot, grâce à son équipement radar sous le fuselage et à la puissance destructrice de ses huit roquettes RP-3 (pour Rocket Projectile 3 inch de 60 lb). Sa lenteur en faisait une proie facile, mais cela ne l’empêcha pas de s’illustrer lors de trois importantes opérations au cours de la guerre.

Prochaine partie : les trois illustres faits d’armes des Swordfish et les trois exemplaires rescapés du temps.