Solar Impulse 2 a fait son voyage autour du monde. S’il est assez peu probable que ce type d’énergie puisse un jour se décliner sur des vols commerciaux, l’idée d’une énergie alternative à l’essence sur des avions n’est pas nouvelle. À commencer par le Travel Air, l’avion à vapeur des frères Besler, il y a un peu plus de 80 ans.
Née au 19e siècle, l’aviation n’a pas échappé à la règle d’un siècle dont les révolutions industrielles ont reposé sur l’utilisation de deux grandes énergies bien avant le pétrole : la vapeur, puis l’électricité. Assez rapidement, les progrès techniques réalisés sur les moteurs à explosion rendent pourtant la vapeur obsolète en matière d’aviation : pas assez puissante, trop gourmande en combustible.
Mais voilà… il y a des ingénieurs têtus. En 1933, à Oakland, Californie, deux frères, William et Georges Besler, s’échinent à trafiquer un Travel Air 2000, un biplan plutôt nerveux et destiné au vol sportif. Leur but? Enlever le moteur à essence du modèle traditionnel pour le remplacer par le leur. L’aîné, Georges, est géologue et William, le cadet, est un jeune ingénieur en mécanique. Depuis trois ans, les deux frères travaillent en secret à un projet de moteur à vapeur qu’ils ont commencé à construire dans l’arrière-boutique d’un mécanicien. Un beau bébé doté de cylindres en V, 250 kilos de métal capable de développer une puissance de 150 chevaux, alimenté par une pompe à eau verticale, pourvu d’un réchauffeur d’eau d’alimentation et de deux condenseurs situés de part et d’autre du fuselage et reliés entre eux par des tuyauteries. La chaudière était commandée automatiquement. La température de la vapeur était maintenue à 400 °C par injection d’eau dans la vapeur surchauffée.
Par un beau matin d’avril, William se risque et monte dans la carlingue devant quelques curieux. On démarre la machine qui monte en température en quelques minutes, la vapeur circule dans les tuyaux du moteur. Sous le regard amusé de quelques autres pilotes qui vont en rester stupéfaits, l’avion roule sur la piste et décolle sans aucun problème, suivi par une mince traînée de vapeur. Le premier, et le seul, avion à propulsion vapeur de l’histoire venait de quitter le sol. Le plus frappant? Le silence impressionnant est à peine troublé par le léger chuintement de l’hélice. Du sol, les spectateurs entendent le jeune ingénieur leur crier « Hello ». Le mouvement des turbines est si peu bruyant que Besler affirmera avoir entendu les spectateurs lui répondre. Besler fait deux tours au-dessus de l’aérodrome à une vitesse de 170 km/h environ. Les commandes répondent parfaitement.
Besler vole ainsi 5 minutes sans rencontrer le moindre problème avant de se poser au terme d’un dernier virage avec une belle souplesse et toujours sans un bruit. Mieux, le moteur à vapeur lui permet de caler l’hélice avant de la faire tourner en sens inverse : alors qu’il touche le sol à 75 km/h environ, le Travel Air freine en une trentaine de mètres à peine.
Dans la presse, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. On signale l’absence de vibrations qui évite la fatigue mécanique, on fait valoir l’intérêt de ces vols silencieux dans un but militaire, on vante un mécanisme économique qui prévient tout risque d’incendie à bord, bref on s’emballe. « La vapeur a enfin triomphé dans les airs », écrit un journal d’aéronautique ; « La réussite des vols d’Oakland a prouvé sans l’ombre d’un doute que la vapeur est destinée à jouer un rôle majeur dans l’histoire de l’aviation. » Les autres vols de démonstration des deux frères dans les jours suivants ne font que renforcer l’enthousiasme général. Enthousiasme que les frères Besler eux-mêmes vont vite tempérer. Ce n’est pas tant le vol qui les intéresse que leur moteur, dont ils espèrent beaucoup. Faire voler un avion est surtout une manière spectaculaire de démontrer ses capacités : légèreté, puissance, performances énergétiques… bref, du marketing. Les frères Besler n’ont jamais cru au développement d’avions à vapeur à l’échelle industrielle, encore moins à la possibilité de transporter des passagers dans de tels appareils. Les Besler voulaient surtout démontrer que la vapeur n’avait pas dit son dernier mot. Dès ce moment, ils se consacreront au développement d’autres véhicules, en particulier des locomotives à vapeur pour des tramways urbains qui fonctionnèrent jusque dans les années 60.
Informations : Jean-Christophe Piot, historien