Par Marc-André Théorêt
On y pense souvent avant même d’avoir terminé sa licence privée… Comme cela doit être agréable de quitter le Québec sous la neige, de s’envoler vers le Sud et progressivement voir le manteau blanc de l’hiver s’estomper sous nos yeux, et cela, dans son propre avion! L’expérience est excitante et incontournable, mais pour éviter que celle-ci s’avère complexe et inquiétante, il est essentiel de bien s’y préparer.
Je vous propose donc, dans cette édition, de vous formuler des commentaires et recommandations qui sauront vous aider, j’en suis certain, à préparer votre odyssée. Ceux-ci sont la somme des expériences accumulées au terme des quelques voyages que j’y ai fait depuis quelques années, dont le tout premier que je vais vous résumer brièvement.
À cette période de l’année, beaucoup d’entre vous envisageront sérieusement ce voyage, et ce, même en dépit du taux de change qui ne nous est pas trop favorable actuellement… Différents scénarios sont envisageables pour une première incursion. Primo, faire le voyage accompagné d’un pilote l’ayant déjà effectué. Secundo, joindre un groupe (3 à 5 avions) encadré par un pilote planificateur expérimenté. L’école de pilotage ALM Par Avion, basée à l’aéroport de Mascouche, offre cette possibilité chaque année en organisant des regroupements d’avions accompagnés par des instructeurs chevronnés et expérimentés (pour information : 450-474-0975). Et tertio, la grande aventure… faire le voyage seul!
Mon premier voyage vers la Floride remonte à 1988. J’avais choisi la première option, soit d’être accompagné par un ami pilote commercial qui avait fait le voyage à quelques reprises. C’était à l’époque des balbutiements de l’informatique, lorsque l’Internet n’était encore que de la science-fiction et que l’équipement de navigation de pointe consistait en un Loran C! Les outils de planification se limitaient aux cartes VNC, du guide papier des aéroports de l’AOPA ainsi qu’aux prévisions météo de la station américaine A.M. Weather et des aviseurs de la NOAA… Toutefois, l’arrivée en sol américain était des plus simples : il ne suffisait que de requérir la mention ADCUS au plan de vol canadien et de bien sélectionner un aéroport d’entrée. L’obligation actuelle de transmettre une notification d’arrivée avec le système EAPIS n’existait pas.
Le vol s’était effectué sans encombre, avec un départ de Dorval en début d’après-midi et un dédouanement à Norfolk (KORF), en Virginie, en fin de journée. Nous y avions passé la nuit et le lendemain, après une brève escale à Daytona, nous nous posions à West Palm Beach. Le tout s’est effectué en régime VFR, à une altitude inférieure à 10 000 pieds et à une vitesse moyenne de 135 nœuds. L’expérience fut à ce point formative et concluante que j’ai fait le voyage de retour seul à bord, quelques semaines plus tard. Depuis, j’ai dû refaire le trajet une dizaine de fois et le ferai à nouveau encore cette année!
Préparer son voyage
Tout d’abord, je suggère de planifier un minimum de 10 jours pour ce voyage. Le parcours en vol peut s’effectuer en une journée, mais quelle journée! Il faut que la météo soit clémente et, surtout, il faut espérer que les vents ne seront pas trop contraires à la trajectoire, ce qui en hiver est malheureusement souvent le cas… L’idéal, c’est de choisir comme moment de départ le lendemain d’une tempête de neige; en effet, vous l’avez sûrement remarqué, les lendemains de tempête nous amènent souvent un ciel clair, du temps froid et sec ainsi que des vents assez forts du nord-ouest. Comme ceux-ci tournent vers le nord en altitude, j’ai ainsi souvent bénéficié de vents de dos de plus de 30 nœuds depuis Montréal, et ce, jusqu’en Virginie. Ce n’est pas négligeable.
Selon les performances de votre appareil, il faudra compter facilement une douzaine d’heures pour atteindre la destination soleil avec en route deux à trois escales. Une option intéressante est de faire un arrêt pour une nuit après les deux tiers de la route, en Géorgie par exemple. J’y reviendrai un peu plus loin.
Quels sont les prérequis pour tenter l’expérience? D’abord et avant tout, détenir une licence en règle et valide, puis compter une expérience appréciable en navigation, donc avoir déjà effectué des vols voyages de plus de deux heures vers des destinations situées aux États-Unis. Un ou deux voyages, par exemple sur la côte est américaine, comme Bar Harbor, Ogunquit, Provincetown et autres, sont un atout non négligeable, car ils vous auront déjà familiarisé avec les formalités douanières et les centres de contrôle américains. Une annotation permettant le vol VFR au-dessus des nuages est un plus. En second lieu, être à l’aise avec la navigation dans des régions de contrôle et pouvoir bien communiquer avec les contrôleurs aériens. N’oubliez pas qu’il est essentiel de parler anglais et de bien le comprendre.
De plus et il en va de soi, s’assurer que son aéronef soit en parfait état de fonctionnement; la dernière chose à envisager est bien de devoir interrompre notre voyage pour un problème mécanique ou autre dans un aéroport inconnu, loin de nos ressources de maintenance et d’entretien habituelles. À tout événement, je vous recommande d’emporter une trousse d’outils de base, un nettoyant à pare-brise ainsi qu’un ou deux litres d’huile à moteur (ne pas tenir pour acquis que l’aéroport de ravitaillement en aura de disponibles…). Accessoirement, il serait sage de se munir d’un appareil de localisation personnel (pour ma part, j’ai toujours un PLB Delorme à bord), d’un cellulaire bien chargé et (fortement suggéré) d’une toilette portative, très pratique pour les segments de vol de plus de trois heures et demie!
Prudence exige, il est souhaitable d’avoir également à bord une trousse de base de survie adaptée au climat hivernal montagneux. En effet, votre premier segment de vol s’effectuera en région montagneuse, à partir de la frontière canado-américaine jusqu’au sud de la ville d’Albany. Cette région dénombre peu d’aéroports utilisables en cas d’urgence et, advenant un atterrissage de précaution dans cette zone inhospitalière, cette trousse de survie pourrait faire toute la différence. À partir d’Albany, vous aurez par contre davantage de chances de localiser un aéroport à proximité de votre route vers la Floride.
Tracer sa route
Avant de tracer la route pour votre destination, il importe de souligner l’existence d’une zone de vol restreinte sur une partie de la route. Il s’agit de la TFR (Temporary Flight Restriction) de Washington. Cette zone de sécurité aérienne ne peut être franchie sans avoir au préalable obtenu un code transpondeur discret; un vol IFR se voit attribuer un tel code et le passage est permis dans la ceinture entre 12 nm et 30 nm de son centre. Pour les autres, il faut passer soit à l’est ou à l’ouest. Les contrevenants s’exposent à une interception par F16 et à de lourdes amendes (communiquez avec l’intercepteur sur 121.5 si cela devait malencontreusement vous arriver). Alors, faites attention à votre planification de trajectoire. Le choix de votre route dépendra en grande partie de l’aéroport de dédouanement que vous allez sélectionner. Si vous partez de Montréal ou traversez cette région, je vous suggère les aéroports de Burlington (KBTV), Syracuse (KSYR), Albany (KALB) ou un peu plus au sud, Richmond (KRIC) en Virginie.
À moins de nécessité liée au ravitaillement en essence ou au rayon d’action de votre avion, je recommande les aéroports d’Albany ou de Richmond pour le dédouanement si vous décidez de passer à l’est de la ville de Washington; par la suite, vous pourrez aisément atteindre Savannah, en Géorgie, pour le ravitaillement en essence ou encore pour une escale d’une nuit (bel endroit). À Albany, le bureau des douanes est situé au nord du terminal; il faut taxier près de la porte d’accès, attendre que les douaniers sortent et vous autorisent à débarquer, pour entrer par la suite avec vos bagages afin de compléter les procédures d’entrée aux États-Unis (il est essentiel pour vous et vos passagers d’avoir un passeport). Pour faire le plein, le FBO de Million Air est situé à environ 500 mètres au sud du bureau des douanes. À Richmond, c’est la même procédure, mais les douaniers se rendront en véhicule à votre avion si vous choisissez le FBO Million Air (un hasard…). J’aime bien Richmond, car la neige y est peu abondante la plupart du temps, ce qui n’est pas le cas à Albany, où je me suis posé il y a deux ans dans des rafales de poudrerie…
Choisissez l’altitude la plus optimale pour votre type d’appareil, notamment s’il n’est pas doté d’un turbocompresseur. Cela vous permettra d’économiser de l’essence tout en vous permettant une marge sécuritaire au-dessus des montagnes. Avant votre départ, si vous planifiez votre vol sous régime VFR, demandez un code transpondeur : cela vous sera pratique lorsque vous serez transféré par le centre de Montréal au centre de Boston avec lequel vous n’hésiterez pas à demander le suivi radar pour la totalité de votre trajet. Bien important et réconfortant!
Les régions de New York et de Washington seront sur votre route. Vous passerez à l’ouest de New York et à l’est de Washington. Vous noterez également un achalandage prononcé sur les fréquences radio, notamment en vol suivi par radar, mais il ne faut pas vous en inquiéter outre mesure; en vous exprimant lentement avec notre accent dominant, les contrôleurs (la plupart à tout le moins) feront des efforts pour bien vous assister lors de votre transition dans leur espace aérien.
Déterminer son aéroport de destination
Tenant pour acquis que vous désirerez sélectionner une destination finale située le plus près possible de la région populaire de Fort Lauderdale, je vous recommande deux aéroports : Pompano Beach (KPMP) ou Fort Lauderdale Executive (KFXE), lesquels sont situés à quelques minutes l’un de l’autre.
Pour un premier vol, je vous suggère toutefois l’aéroport de Pompano Beach, car il dispose de trois pistes (cela est pratique pour les vents de travers fréquents) et son FBO, Sheltair, qui demande des frais de séjour plus que raisonnables, que ce soit à la nuitée ou à la semaine. À KFXE, le trafic est beaucoup plus dense et les contrôleurs sont un brin déplaisants (c’était du moins le cas l’hiver dernier…). C’est toutefois l’endroit à sélectionner pour qui veut s’installer quelques jours au fabuleux FBO Banyan et utiliser leurs facilités ainsi que les douanes sur place advenant que vous vous laissiez tenter par une excursion complémentaire aux Bahamas, dont la première île, Bimini, est située à un jet de pierre (ou presque) à l’est! Banyan vous offrira gratuitement un kit de voyage aux Bahamas pour bien vous préparer. N’hésitez pas à en faire la demande au comptoir.
Pour ceux d’entre vous qui préféreraient s’installer plus au nord, quelques aéroports sont à retenir comme Kissimmee (KISM), Daytona (KDAB) ou Palm Beach (KPBI). Kissimmee est situé tout près de Disney (15 minutes en voiture), Daytona près de son centre-ville et de sa plage légendaire, et Palm Beach, au cœur de ce site touristique élitiste. Tous offrent des facilités pour l’aviation privée à prix raisonnables.
Si vous n’avez pas d’amis ou de parenté prêts à vous héberger à destination, n’hésitez pas à vous informer au comptoir du FBO de votre lieu d’atterrissage au sujet des spéciaux qu’ils ont souvent de disponibles avec des hôtels locaux. Généralement, ils pourront vous accommoder à bon prix pour votre séjour. À Pompano, par exemple, je me permets de vous suggérer quelques nuitées au Lighthouse Cove Resort, bien situé sur une superbe plage, à 5 minutes de l’aéroport.
En route
Après avoir déterminé votre trajet et la veille de votre départ, vous déposerez votre plan de vol et prendrez soin de notifier le service douanier américain de votre heure d’arrivée anticipée. Pour ce faire, il faudra vous inscrire sur l’EAPIS sur le Web (si cela n’est pas déjà fait). Quelques heures avant le départ, il vous faudra également téléphoner au bureau de votre aéroport de dédouanement pour l’aviser à nouveau et vérifier si votre notification d’arrivée a été reçue. Cela est très important.
L’heure du départ étant arrivée, peu importe votre provenance au Québec, votre trajet vers la Floride vous conduira au sud de la grande région de Montréal, soit le long de la chaîne des Appalaches, où vous survolerez de magnifiques sommets enneigés, avant de rejoindre les plaines des régions de Philadelphie et de Washington. Par la suite, le relief sera peu accidenté et deviendra très marécageux le long de votre route. Vous aboutirez en Géorgie, où l’aéroport de Savannah devrait figurer parmi vos segments d’escale/essence/pause.
Savannah vaut le détour et même un arrêt-visite. Cette ville est souvent citée dans les médias du tourisme comme étant une des plus belles villes de l’Amérique du Nord. Ses 22 squares, planifiés et implantés par le général James E. Oglethorpe en 1732, sont ornés de statues et de fontaines et tous plantés d’arbres vénérables et moussus qui font la gloire de la ville, avec de nombreuses maisons datant d’avant la guerre de Sécession. C’est une ville d’une verdure luxuriante, agrémentée en plus d’une berge portuaire aux allures d’un port océanique d’un temps révolu. À voir. L’aéroport est situé à une vingtaine de minutes en taxi de son centre et, par l’intermédiaire des FBO qui y sont localisés (je préfère Signature à Sheltair, qui offre de bons rabais pour l’essence à l’aviation civile les week-ends…), vous pourrez trouver à vous loger à proximité pour moins de 125 $ la nuit.
Votre escale complétée, le segment suivant devrait vous permettre d’atteindre le nord de la Floride, soit les environs de Daytona ou de Jacksonville, où vous saurez localiser un aérodrome local municipal et où vous ferez le plein à bon prix (au moment d’écrire ces lignes, on trouvait de l’essence à 3,45 $ le gallon!).
Pour votre dernier segment de route (le plus agréable selon moi), je vous suggère une altitude minimale de 5000 pieds en raison du trafic qui est considérable en Floride, le long de la côte. À proximité de Titusville, vous remarquerez sur votre gauche la base de Cape Canaveral et sa piste aménagée pour les atterrissages des navettes spatiales; cet endroit est situé dans une zone de survol restreinte. Donc, prenez soin de demeurer à l’écart pour éviter une interception potentielle…
Votre dernier segment s’effectuera le long de la côte vers le VOR de Palm Beach (PBI), probablement le long de la Victor 3 et de là, votre destination ne sera plus qu’à quelques minutes…
À destination
Tourner en finale entre les palmiers… c’était l’objectif que vous vous étiez fixé et, enfin, vous y êtes! Beaucoup d’activités vous seront accessibles à destination et vous ne manquerez pas de vous en rendre compte en consultant les différentes brochures qui vous seront remises à votre aéroport d’arrivée. Vous pourrez enfin profiter du temps clément et des nombreux attraits de la Floride lesquels, bien que cela soit dépaysant à souhait, conservent un petit côté familier. Ne manquez pas une visite au Pilot Shop du FBO Banyan : c’est un incontournable.
En cas de pépins mécaniques, je vous recommande Ameer, propriétaire d’Aviation Specialty, à l’aéroport de Pompano. J’ai personnellement eu recours à ses services à quelques reprises et son équipe démontre compétence et efficacité. Son entreprise fait l’entretien de très nombreux monomoteurs de toutes marques.
Le retour
Au terme de votre voyage, il vous faudra évidemment envisager le retour. Tout ce qui est mentionné précédemment vaut en grande partie pour le retour. Je vous suggère la même route, à savoir Savannah et Richmond, pour enchaîner avec votre destination au Québec. Si vous n’êtes pas inscrit auprès de CANPASS, il vous faudra, à votre retour au Canada, vous poser dans un aéroport d’entrée (Sherbrooke, Mirabel, Saint-Hubert, etc.) et donner avis de votre arrivée par téléphone (sur la ligne CANPASS) au moins deux heures à l’avance. Concernant les formalités accessoires, ne pas oublier la notice of departure à remplir sur l’EAPIS. Des amendes sont prévues pour les contrevenants.
Pour ceux d’entre vous qui bénéficieraient de plus de temps pour ce beau voyage, je vous informerai dans le prochain numéro du magazine sur les endroits à visiter avec votre appareil en Floride. Parmi ceux-ci, je vous entretiendrai de Key West, Naples, Sarasota et St-Augustine, entre autres destinations agréables…
D’ici là, bon vol et bons vents pour votre voyage!