Philippines, 20 octobre 1944. La nouvelle unité spéciale de crash-diving qui faisait partie de la 201e escadre de chasse avait pour mission de détruire le maximum de porte-avions américains dans les cinq jours suivants.
Au départ, elle était constituée de 23 hommes dirigés par un homme issu de l’académie navale, le lieutenant Yukio Seki. Elle comprenait 26 chasseurs dont la moitié serait consacrée aux attaques suicides et l’autre à leurs escortes. Plus tard, l’unité serait divisée en quatre sections : d’une part, à Mabalacat, Shikishima (nom poétique du Japon), Asahi (soleil levant) et Yamazakura (montagne de cerisiers en fleur); et finalement à Cebu, Yamato (ancien nom du Japon). Il était clair que dans l’esprit des pilotes, la priorité était de défendre leur pays. On leur avait dit que le peu d’avions limitait le nombre de candidats. Or, ils se portèrent tous volontaires avec beaucoup de conviction, pour ne pas dire avec fanatisme. Ces jeunes pilotes considéraient que ces attaques kamikazes faisaient partie de leur devoir. Ils disaient : « En devenant soldats, nous avons fait le serment d’offrir nos vies à l’Empereur. » Quand ils partaient en mission, ils avaient la ferme conviction qu’ils remplissaient leur engagement en se battant contre l’ennemi. « Il serait alors négligent de penser le contraire. Une attaque kamikaze n’est qu’un nom, une tactique militaire cependant inusitée, mais une autre façon de remplir nos obligations. Si on doit mourir, quoi de plus naturel qu’on meure efficacement, c’est-à-dire en infligeant le maximum de pertes à l’ennemi. » Les Japonais croyaient que si chaque avion kamikaze pouvait couler un navire adverse dans un ratio de un pour un, ils arriveraient à retarder l’assaut ennemi et reprendre l’avantage. Du 23 au 27 octobre 44 eut lieu l’opération Sho (Victoire) dans le golfe de Leyte. Le Japon lançait 250 avions, dont 13 disponibles pour les « attaques spéciales ». Les attaques kamikazes coulèrent deux bateaux et en endommagèrent 19.
Le Bushido
Aujourd’hui, le mot kamikaze est employé pour désigner toutes sortes d’attaques suicides. Ce mot appartient à l’histoire. Ces pilotes volontaires pratiquant les kamikazes avaient comme base spirituelle le bushido, qui est aussi à la base de plusieurs arts martiaux, en faisant l’exercice mental de juger efficacement le moment présent par rapport à sa propre mort, comme si on n’était plus de ce monde. Le bushido est moulé des sept grandes vertus selon le confucianisme : la droiture, le courage, la bienveillance, la politesse, la sincérité, l’honneur et la loyauté. Ce code de vie est basé sur l’endurance stoïque, le respect du danger et de la mort, sur le culte religieux de la Patrie et de l’Empereur. Pas évident de saisir le concept à la source de ce code observé jadis par les samouraïs, exigeant loyauté et honneur. D’ailleurs, les samouraïs, s’ils venaient à échouer de le garder, pouvaient le regagner en se faisant hara-kiri…
L’honneur étant la priorité, il ne faut surtout pas l’entacher par une mort inutile comme celle d’un poltron. Il a fort probablement joué un rôle dans la détermination farouche des kamikazes. Ce mot kamikaze avait une signification particulière. Sa traduction est « vent divin » en référence aux typhons qui avaient sauvé le pays du Soleil levant des invasions mongoles de Kubilai Khan en 1274 et en 1281. Ces pilotes volontaires croyaient qu’ils deviendraient des dieux en se sacrifiant pour leur empereur, qui d’ailleurs avait été surpris par cette stratégie extrémiste : « Était-il nécessaire d’aller si loin? Ils ont certainement été glorieux. » Assignés dans un escadron d’attaque spéciale, ces pilotes continuaient leurs tâches régulières ne sachant pas quand viendrait leur tour. Vouloir servir dans ces unités de volontaires n’était pas le fruit d’un enthousiasme momentané, mais plutôt celui de la plus profonde des déterminations. Ils faisaient demi-tour s’ils ne trouvaient pas de cible. Et parmi leurs préoccupations? Être sûr de garder les yeux bien ouverts jusqu’à la fin. Après avoir bu leur traditionnel saké avant de décoller, ils se disaient entre eux « on se revoit au mausolée! ».
Les bombes volantes
Dans un article publié dans le magazine Aviation de novembre-décembre 2011, j’ai décrit les Zero comme de formidables chasseurs, légers et très agiles. De tels avions, je le rappelle, n’avaient pas de plaques de blindage. Ils étaient devenus, aux mains des kamikazes,
de terrifiantes bombes volantes aux effets des plus dévastateurs. On les munissait de bombes de 250 kg; les pilotes visaient les ascenseurs des porte-avions qui étaient l’endroit aux atteintes les plus dommageables. Mais un projet encore plus fou était en développement : l’Ohka. Inventée à l’été 44, il s’agissait d’une bombe volante munie de cinq fusées comme propulseur, devant être larguée à partir d’un bombardier bimoteur Mitsubishi G4M (Betty). Portant le nom poétique de « Fleur de cerisier », cette construction du genre artisanal, en bois, ne demandait pas nécessairement une forte expérience de pilotage pour faire le plongeon depuis 6000 mètres d’altitude dans un rayon de 30 km de l’objectif. Construite à grande échelle, cette nouvelle arme secrète contenant 1,8 tonne d’explosifs, plongeant à la limite de la vitesse du son, aurait pu changer le cours de la guerre. Mais la supériorité américaine avec ses Hellcat et ses bombardements eut raison de ce projet et des trois tentatives d’attaques d’Ohka les 21 mars, 1er et 12 avril 45. En tout, 31 Ohka n’auront coulé qu’un destroyer et endommagé cinq navires.
Le début de la fin
Aux Philippines, en date du 14 décembre 44, l’unité d’attaques spéciales avait 28 pilotes pour 13 Zéro restants. D’un point de vue opérationnel, les Japonais manquaient d’avions éclaireurs. Il n’y avait pas de radar et la météo locale était capricieuse avec des pluies soudaines sous des cumulo-nimbus qui se formaient très vite. Pour donner une idée de la proportion des forces au début de janvier 45, alors que toujours aux Philippines les Américains avaient gagné la bataille de Leyte et se dirigeaient en force vers l’île de Mindoro, un avion de reconnaissance rapporta avoir vu 300 navires ennemis, suivis par un second groupe de 700 navires. C’était la première fois que les Japonais rencontraient une telle concentration et, en plus, ils ne savaient pas qu’il y avait en arrière un troisième groupe de 300 ou 400 navires. Eux n’avaient que 40 avions pour combattre. Le 6 janvier 45 eut lieu la dernière attaque kamikaze depuis Malabacat, par un groupe de cinq Zero remis miraculeusement en état par les mécaniciens au cours de la nuit précédente. Il restait 30 pilotes kamikazes disponibles. Bilan des opérations kamikazes aux Philippines du 20 octobre 44 au 6 janvier 45 : 424 attaques, 37 navires coulés, dont 5 porte-avions, et 59 bateaux endommagés.
Alors que les alliés se rapprochaient de plus en plus du Japon, la force aérienne nippone de 2100 avions fut divisée en 4 groupes : à Formose, à Kyushu, à Honshu et dans la région de Tokyo. Il y eut un manque de pilotes et de mécaniciens expérimentés : raison de plus pour employer tous les pilotes disponibles comme kamikazes, même les novices. Ça ne demandait pas beaucoup d’expérience. En avril 45, pendant la bataille d’Okinawa, il y eut pour la première fois conjonction des forces aériennes navales et terrestres, ayant pour objectif d’effectuer principalement des attaques kamikazes, puisque celles-ci constituaient toujours le mode d’attaque le plus efficace. Mais il y eut un changement dans l’attitude des pilotes : ils se portaient volontaires, disons moins facilement. En 10 attaques, qu’ils appelaient Kikusui, 1465 avions de toutes sortes auront coulé 11 bateaux ennemis et en auront endommagé 102, dont le USS Missouri.