Texte : Richard Saint-George – Photos de l’auteur, AOPA.com et Sky4buy.com
Reconnaissable entre tous par son empennage à bi-dérive, ce biplace est sécuritaire, fiable et économique. Présentement, on dénombre 136 exemplaires – toutes séries confondues – au Canada. Plusieurs volent au Québec ou y demeurent remisés dans l’attente d’une hypothétique restauration. Le point sur cet appareil très spécial.
C’est en 1934 que l’ingénieur Fred Weick dessine l’ancêtre de l’Ercoupe : le W-A1. Il s’agit d’un monomoteur monté en propulsif, à aile haute et à empennage bipoutre. Ce deux-axes à train tricycle, destiné à populariser l’aviation récréative, est conçu de façon à ne pouvoir entrer en vrille. Le vol inaugural du prototype a lieu en mai 1934. Des essais subséquents remettent en question le design initial et la faisabilité du projet. Le bureau d’études veut aussi se conformer au programme Fool Proof, visant à améliorer la sécurité aérienne. Trois ans plus tard, un spécimen à ailes basses et mono-dérive fait son apparition. La ligne se précise. La version définitive, à double-dérive, est certifiée en 1939. Les premières livraisons débutent dans la foulée. Entre 1939 et 1947, quelque 5700 appareils sortent de l’Engineering Research Corp (ERCO). L’année record demeure 1946, avec 4309 machines construites. Après la dissolution d’ERCO, les droits se revendent successivement à Sanders, Univair, Forney, Air Products Company et Alon. Ces relais engendrent diverses variantes. Parmi celles-ci, on notera les séries Aircoupe. Une version bipoutre bimoteur et même un prototype assisté d’une roquette verront le jour ! Du côté des militaires, la United States Army Air Force assemblera une grosse centaine de 415C. Parallèlement, en 1968, Mooney Aircraft rachète les licences à Alon Inc. L’avionneur texan supprime alors la queue emblématique du biplace et le rebaptise. Aujourd’hui, c’est Univair Aircraft Corporation qui détient le certificat de type. Basée à Aurora (Colorado), cette compagnie se limite néanmoins à la vente de pièces d’origine et de manuels. Pour info : www.univair.com. Aux aficionados de la marque, je recommanderais également www.ercoupe.info. Ce site compile articles, références, livres, projets de restauration, photos, plans, AD’s, etc. Une vraie mine d’or technique et intellectuelle ! Sans oublier le site Internet de l’Ercoupe Owners Club, www.ercoupe.org, réputé pour ses forums.
La vogue change, le modèle perdure
Loin d’être aussi courant que les monomoteurs Cessna 150 et Piper Cub, l’Ercoupe se rencontre toutefois chez nous d’un océan à l’autre. Certains exemplaires ne sont pas des Erco, mais des Alon Aircoupe (13 immatriculés) ou encore des Forney A2 (2). Pour qui n’est pas expert, la différenciation semblera ardue. Au Québec, l’assortiment se limite aux Ercoupe 415 déclinés dans différentes séries. Si plusieurs volent encore, d’autres gisent comme de simples épaves en proie au cannibalisme aéro. Néanmoins, on peut reclasser le modèle sous le couvert de la construction amateur. Cette pirouette administrative permet de s’affranchir des contraintes liées au certificat de navigabilité standard. Enfin, aux États-Unis, les modèles 415C et 415CD sont admissibles en catégorie LSA. Par extension, au pays, pourquoi pas une alternative en tant qu’ultraléger avancé ?
Clientèle distincte, technologie à part
L’Ercoupe permit, en son temps, à de nombreux amputés de guerre de piloter à nouveau grâce à ses commandes ailerons/gouvernails coordonnées. Plus récemment, en 2008, l’Américaine Jessica Cox – née sans bras – obtint sa licence FAA aux commandes d’un même appareil. Pilotant avec ses pieds, cette jeune handicapée est la première à obtenir ce privilège. Un bel exemple de ténacité ! Même à l’heure du tout assisté, des parachutes balistiques et des glass cockpits en série, ce gros jouet recèle encore de concepts technologiques viables. Ses poulies et leviers conjugués – style horlogerie – ne paraissent pas si obsolètes que ça…
Exposé succinct, au sol et en vol
Avec ses extrémités d’ailes arrondies, sa double dérive style Lockheed 10A et sa verrière bombée, l’Ercoupe 415 dégage un charme suranné. Seule touche de modernisme pour l’époque : son train tricycle. L’accès à bord se fait par les vitres coulissantes formant la verrière. La banquette est fixe. Une fois assis, on se sent plutôt tassé. Oui, le tronc émerge avec bonheur dans la bulle transparente, mais les jambes se déplient mal sous le tableau de bord ! Le peu d’espace entre le dossier et les volants maintient les bras coudés près du corps. Cette machine n’a pas été conçue pour les grands ni les costauds. Le compartiment à bagages est exigu. Néanmoins, on peut charger quelque 75 lb (30 kg) ou installer un siège d’enfant voire un panier pour chien. Au roulage, l’utilisation du volant pour tourner surprendra plus d’un pilote. Point de palonnier ! Léger inconvénient : l’impossibilité de braquer les ailerons pour contrer le vent au taxiage, sous peine d’un changement de trajectoire illico. En définitive, seule une pédale de frein se trouve au plancher, du côté gauche. La commande de frein à main, quant à elle, est sur la planche de bord. Raisonnablement véloce, l’Ercoupe 415 demeure remarquable par sa technique de mise en virage. On tourne le volant : c’est tout ! La coordination est automatique et la bille reste centrée. Le taux de roulis est fort. Pas étonnant quand on voit la taille des ailerons qui dévorent une partie du bord de fuite. Par contre, point de volets hypersustentateurs. Le dièdre positif de l’aile induit une stabilité latérale accrue. Le double empennage est conçu de façon à soustraire la direction au souffle hélicoïdal généré par l’hélice. Cela permet, en outre, un meilleur contrôle en montée. Afin d’éviter toute entrée en vrille, l’avionneur a couplé les ailerons et les gouvernails, a bridé à +12 deg la déflexion maximale de la gouverne de profondeur et a limité la course angulaire des gouvernails. De facto, les décrochages sont loin d’être spectaculaires. En approche, comme il n’y a pas de volets et que les glissades latérales sont impossibles (coordination oblige!), on peut ralentir en ouvrant… les fenêtres ! Par vent de travers, le manuel de vol recommande d’effectuer une approche en crabe jusqu’au toucher. Une fois au sol, il faut laisser la roue de nez s’aligner d’elle-même sur l’axe de piste. Et puisqu’on parle d’automatismes, notons le mécanisme qui actionne le réchauffage carburateur dès que le papillon des gaz est fermé. Cette fonction, assurée par une tringlerie reliée à la manette des gaz, fonctionne entre zéro et mi-course. C’est ingénieux, mais, au roulage, sur un terrain en gravier, il faut prendre garde à la poussière qui risque d’être aspirée directement. En vol, le pilote peut néanmoins enclencher le réchauffage à tout moment grâce à une tirette manuelle. Tout est soigneusement étudié. Trop, penseront certains…
Marché de l’occasion, maintenance et AD’s
Pour trouver un Ercoupe usagé intra-muros, chacun peut consulter les petites annonces de L’Aviateur (inclus dans Magazine Aviation), COPA, Canadian Aviator et Wings Magazine. Denrée rare tout de même, car je n’ai répertorié aucune offre récente. Les propriétaires qui possèdent un coucou du genre semblent moins enclins à s’en séparer que ceux ayant un biplace populaire ! L’Ercoupe : un avion auquel on s’attacherait, alors ? Possible. La piste américaine avec les Trade-a-Plane, Controller et autres AeroTrader est aussi à considérer. Enfin, les chineurs débusqueront sans aucun doute quelques spécimens sur nos tarmacs et, plus sûrement, aux É.-U. Cette année, à Oshkosh, j’en ai recensé une bonne douzaine d’exemplaires. Celui montré ici, dans nos colonnes, était d’ailleurs à vendre. Prix : 18 999 $ US. Une bonne affaire pour un 415D accusant seulement 1615 heures ! D’autres, davantage bichonnés et mieux équipés, étaient affichés jusqu’à 40 000 billets verts. Trop chers, selon moi. Au chapitre de l’entretien, ni le moteur Continental ni l’hélice (Sensenich ou McCauley) ne créeront de souci aux mécaniciens. Par contre, la maintenance des contrôles de vol nécessite plus de soin que sur un monomoteur courant. L’accès interne de l’empennage à double dérive n’a pas la réputation d’être facile. Par ailleurs, le train d’atterrissage principal requiert une attention particulière. Notamment sur les tout premiers modèles équipés de jambes tubulaires (les versions subséquentes étant en acier forgé). Idem pour le pot d’échappement, frappé d’une consigne de navigabilité sur les séries 415C, CD et D (nos 113 à 362). En 77 ans d’existence, nombre d’AD’s ont évidemment été édités. Tout énumérer serait fastidieux. Par contre, les intéressés – y compris ceux ne possédant pas d’Ercoupe – peuvent recevoir, sur demande auprès de Transports Canada, lesdites consignes par voie électronique. Propriétaires d’Ercoupe (ou de tout autre appareil), techniciens (TEA) et administrations étrangères auront également intérêt à s’abonner, par e-mail, aux alertes à la sécurité de l’Aviation civile (ASAC). En conclusion, je confirmerais que l’Ercoupe est un objet quasi de collection, une machine ultra-sécuritaire, un avion sympa à petit budget. Quoi de mieux ?
Devinettes sur la série Ercoupe 415
a) A-t-on déjà vu un Ercoupe monté sur flotteurs ? b) En quoi certains bricoleurs ont-ils déjà transformé quelques vieux Ercoupe ? c) Comment s’appelle le modèle développé par Mooney à partir d’un 415 ? |
Réponses : a) oui (voir photo sur https://airandspace.si.edu/collection-objects/erco-415c-ercoupe-photograph?object=siris_arc_365659) b) en automobile c) M10 Cadet |
Erco Ercoupe 415G… en quelques chiffres
Envergure : 30 pi (9,15 m) Longueur : 20 pi 9 po (6,30 m) Masse à vide : 750 lb (340 kg) Masse maximale : 1400 lb (635 kg) Moteur : Continental C-85 Puissance : 85 ch Hélice : bipale Sensenich, Ø 72 po (1,82 m), à pas fixe Réservoirs : 2 x 15 gal (2 x 57 l) Vitesse maximale (Vne) : 144 mph (125 kias – 232 km/h) Vitesse de croisière @ 75 % puissance : 115 mph (100 kts – 185 km/h) Vitesse de décrochage, pleins volets (Vso) : 45 mph (39 kias – 72 km/h) Distance franchissable maximale @ 75 % puissance : 690 sm (600 nm – 1110 km) Plafond pratique : > 13 000 pi (> 3962 m) |