Même pas la peine de remonter toute la piste pour décoller! Le taxiway de l’aéroport de Gatineau se joint à mi-piste et c’était bien suffisant au Beaver C-GBUL du pilote André Durocher pour nous faire monter dans le ciel avec une aisance, pour ma part, inattendue; nous étions quand même cinq personnes à bord!

Avec des pneus pour la toundra, on va se poser sans problèmes sur l’herbe à Gatineau!

Un peu d’historique sur le de Havilland DHC-2 Beaver

Pour la réalisation de cet avion conçu par de Havilland Canada après la Deuxième Guerre mondiale, 80 pilotes de brousse canadiens furent consultés, dont Clennell « Punch » Dickins (consultant et directeur des ventes à de Havilland Canada), Wilfrid « Wop » May (l’un des meilleurs pilotes de brousse du Canada et pilote vétéran de la Première Guerre mondiale, qui s’était même battu contre le Baron Rouge!), et Max Ward (pilote de brousse de renom dont le DHC Fox Moth est au Musée de l’aviation à Ottawa, fondateur de la compagnie Wardair). Le but de la consultation était de leur demander quelles pourraient être les caractéristiques idéales d’un avion de brousse. On se fiait aux utilisateurs plutôt que de se baser sur les traditionnelles données financières dans le développement de tels projets. À l’unanimité, les pilotes voulaient de fortes capacités de décollage et d’atterrissage courts, un moteur puissant et la polyvalence roues, skis et flotteurs. Le DHC-2 Beaver fit son premier vol le 16 août 1947 à Downsview, en Ontario, entre les mains du renommé pilote d’essai Russell Russ Bannock, as de la Seconde Guerre mondiale et ex-pilote de De Havilland Mosquito. Avec ses recommandations et celles de l’autre pilote d’essai renommé George Neal, le DHC-2 Beaver allait devenir le fleuron de l’aviation de brousse canadienne. Vite pris d’affection par ses pilotes et à cause de son aspect d’avion utilitaire, il reçut le surnom de « camion volant ». Déjà qu’à vide il pèse près d’une tonne et demie (3000 lb), il peut emmener près d’une tonne de charge. Six passagers peuvent se partager l’habitacle et il peut voler à une vitesse de croisière de 230 km/h sur un rayon d’action de 732 km. Toutes ces belles caractéristiques ont forgé la légende du Beaver qui est devenu l’emblème de l’avion de brousse.

Russell Bannock, en 2013, à Hamilton, as canadien de la Seconde Guerre mondiale, posant devant le Mosquito du Military Aviation Museum de Jerry Yagen.

Quelques chiffres

Des 1657 appareils construits entre 1948 et 1967, 980 furent achetés par l’US Army pour du travail utilitaire et du service au Vietnam. Il devient ainsi le premier avion acheté par les États-Unis à un pays étranger. Son concept s’est perfectionné suite à de rudes missions de vol de brousse. Son puissant moteur radial Pratt et Whitney R-985 Wasp Junior de 450 chevaux, disponible à bas prix comme surplus après la guerre, et ses remarquables capacités de décollage et d’atterrissage courts ont parachevé son succès (abaissement des ailerons à 15 degrés avec des volets hydrauliques). L’an dernier, il fêtait son 70e anniversaire. La compagnie Viking Air à Victoria, en Colombie-Britannique, continue d’offrir la maintenance aux centaines de Beaver encore en opération.

 

 

 

Travail de force avant de mettre le moteur en marche. Il faut faire sortir l’huile qui pourrait s’être accumulée dans les cylindres du bas pour éviter un blocage hydraulique. Noter que l’hélice tourne vers la gauche, comme c’est le cas pour les moteurs issus de l’Europe de l’Est!

L’unique Beaver immatriculé C-GBUL

Le pilote André Durocher m’avait invité avec quelques autres de ses amis à voler dans son Beaver le 26 août dernier pour aller participer à un rendez-vous aérien à l’aéroport de Lachute. Ce qui rend unique GBUL, c’est d’abord son moteur polonais PZL de 600 chevaux, ce qui fait de lui un Super Beaver! Quelle chance de grimper à bord d’une légende vivante, dont l’habitacle au look inchangé depuis sa construction en 1953 transpire de toutes les multiples heures de vol et missions de vol de brousse dans le Grand Nord. En s’approchant de l’avion, on est frappé par sa taille, la grosseur de son nez qui abrite son énorme moteur de sept gros cylindres en étoile auquel est fixée une hélice à quatre pales. On est fasciné par la dimension des roues tout-terrain 36-in Alaskan Bushwheels, idéales pour la toundra et qui lui donnent l’aspect d’un gros jouet. Mais quel jouet! Au démarrage, le moteur fait tout vibrer, non seulement l’avion en entier et surtout le capot moteur, mais aussi nos entrailles (je me disais que ça doit certainement faciliter la digestion!). Une bonne petite boucane d’huile brûlée chatouille les narines et sème la joie parmi tous. Le bruit? Équivalent à quatre Harley-Davidson au démarrage. Juste cela, c’est déjà une expérience à vivre! Le décollage est puissant. La mise des gaz nous colle contre le dossier du siège. On ne peut que jouir de toutes ces formidables sensations de vol à bord de cet appareil puissant et confortable qui monte à plus de 5 m/s (1000 pi/min). Des seuls quatre Beaver convertis en Super Beaver dans les années 80 par la compagnie Airtech, GBUL (un Mark 1) reste sans doute le seul au monde à être muni d’un moteur PZL de 600 chevaux (dont on peut trouver des exemplaires neufs encore aujourd’hui à bon prix d’après son pilote). Construit en 1953, C-GBUL reçut le numéro de série 588, puis fut livré à l’US Army. De décembre 1971 à février 1976, il fit partie de l’US Air Force, pour ensuite revenir au Canada, au Manitoba. C’est en 1985, à Peterborough en Ontario qu’il fut transformé en Super Beaver avec un moteur polonais PZL-3S. Pour l’Armée américaine, plusieurs transformations de l’appareil original eurent lieu, notamment le compartiment à bagages élargi de 56 pouces, les réservoirs en bout d’aile, dont l’envergure mesure deux pieds de plus que l’original, les volets électriques et surtout la fenêtre de toit très appréciée du pilote. En 1986, à son retour aux États-Unis, en Alaska, son tableau de bord sera également modifié dans le style Cessna. Enfin, en 1988, il revient au Québec servir pour Air Saguenay et est immatriculé C-GBUL. Après avoir servi à deux autres compagnies, il est acquis par André Durocher le 16 juin 2003. Propriétaire de plusieurs avions, dont un Citabria, un Seabee et un Questair Venture, André parle toujours avec affection de son Beaver (affectueusement nommé son Bull), car il a fait de nombreuses belles expériences de vol avec lui et on sent qu’il y a un serrement de cœur dans sa décision de vouloir le vendre.

 

 

Remerciements et sources : les Ailes d’époque du Canada, le pilote André Durocher et Wikipédia. Plus d’information à www.DHC-2.com (taper le numéro de série 588 dans la fenêtre de recherche).