Il y a quelques mois, Transports Canada proposait de nouvelles règles concernant la gestion de la fatigue des pilotes. Une coalition de 8000 pilotes d’avions passagers et cargos, nommée « Ciel plus sûr », s’est formée pour décrier ces nouvelles règles qui ne cadrent pas avec la science de la fatigue et les recommandations de la NASA. En tant que technicien, il est quand même intéressant de voir que la fatigue des pilotes préoccupe assez l’industrie et la population pour la réglementer. Qu’en est-il de la fatigue des techniciens?

Au mois de mars dernier, j’ai assisté à la convention annuelle de l’Aircraft Electronics Association (AEA) à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. J’ai eu l’occasion de participer à différentes formations, dont une particulièrement intéressante, sur la fatigue des techniciens en maintenance. Celle-ci était donnée par le très sympathique et coloré Dr Bill Johnson, scientifique en chef et conseiller technique, concernant les facteurs humains pour la FAA aux États-Unis.

J’ai pu prendre connaissance de quelques statistiques intéressantes démontrant le manque de sommeil généralisé dans la classe ouvrière américaine. Il est estimé que la majorité des adultes tentent de fonctionner avec un manque de sommeil de 1 à 1,5 heure par rapport aux 8 heures de sommeil recommandées par les scientifiques. La fatigue humaine coûte plus de 136 milliards de dollars chaque année en manque de productivité aux États-Unis. Encore plus alarmant, le personnel en maintenance d’aéronefs dormirait en moyenne 5 heures par nuit. Cela représente le double de la moyenne nationale en déficit de sommeil. On s’entend qu’étant donné nos modes de vie très similaires avec nos voisins du sud, nous pouvons facilement extrapoler ces chiffres ici au Canada.

Depuis le début des années 2000, la FAA a effectué plusieurs études et sondages pour évaluer la fatigue du personnel s’occupant de la maintenance des aéronefs. Elle a mis sur pied plusieurs formations, a publié des documents et a fait beaucoup de publicité pour promouvoir l’adoption de systèmes de gestion de la fatigue par les grandes compagnies aériennes, et ce, en plus des formations plus traditionnelles sur les facteurs humains. La FAA a également mis sur pied un site web dédié uniquement à la gestion de la fatigue pour le personnel de la maintenance (www.mxfatigue.com). Sur ce site, vous trouverez un court métrage très bien fait qui vous informera sur le sujet (Grounded – A Story of Fatigue).

De plus, une circulaire consultative (AC 120-115) a été publiée en décembre dernier pour décrire les concepts de base sur la fatigue chez les humains. Elle donne également de l’information et des méthodes pour implanter des outils de gestion sur les risques associés à la fatigue pour les techniciens et les organisations de maintenance d’aéronefs. Bien qu’il n’y ait aucune réglementation à ce sujet, la FAA a fait de très gros efforts pour conscientiser l’industrie à ce risque grandissant et non négligeable.

Les techniciens sont un maillon extrêmement important dans la chaîne d’étapes requises pour la réussite d’un vol. Ils travaillent souvent sur des horaires de soir et durant des heures irrégulières. De plus, ils subissent de façon régulière de la pression pour livrer le travail dans un temps déterminé qui est souvent trop court. Les techniciens, tout comme les pilotes, sont sujets à des erreurs pouvant être causées par la fatigue.

Il est évident que nous connaissons les répercussions du manque de sommeil sur notre performance au travail. Nous y avons tous goûté à un moment ou à un autre et nous en connaissons les conséquences. Par contre, à la suite de cette formation, j’ai réalisé qu’en plus de 20 ans de carrière comme technicien en aviation générale, je n’ai jamais été exposé à des campagnes de sensibilisation sur les risques associés à la fatigue des techniciens. Bien sûr, le sujet est couvert dans la formation initiale et récurrente sur les facteurs humains, mais cela me semble minime par rapport au phénomène grandissant du manque de sommeil dans notre société. Alors, que font Transports Canada et les entreprises à ce sujet?

J’ai communiqué avec certains de mes confrères techniciens et anciens étudiants travaillant pour différentes catégories de transporteurs. Après discussion, nous en faisions tous le même constat. Les cours de facteurs humains sont souvent monotones et tous construits de la même façon. Certaines compagnies et certains formateurs mettent un peu plus l’accent sur certains facteurs humains s’ils ont récemment eu des incidents reliés à ceux-ci. Un ancien étudiant m’a dit qu’il avait quand même reçu un document en anglais sur la gestion de la fatigue pour les travailleurs de nuit. Le document provenait d’une agence de formation privée de l’Alberta et non pas de Transports Canada et n’était pas spécifiquement relié au domaine de l’aviation. Par contre, un autre confrère qui travaillait de nuit m’a dit que la compagnie avait une politique en place qui accordait la possibilité de faire une sieste rapide (power nap) en cas de besoin. Cette mesure ainsi que d’autres étaient possibles, car elles avaient été négociées avec le syndicat.

Oui, mais… est-ce que Transports Canada se préoccupe de ce problème? La réponse est oui. Il faut chercher un peu, mais on finit par trouver. Transports Canada a donc une « boîte à outils » contenant beaucoup de documentation et même un cours déjà « tout fait » incluant le guide du formateur. Vous trouverez toute l’information en effectuant une recherche sur Internet avec les mots clés : Transports Canada SGRF. Cette boîte à outils a été créée en 2007 avec la participation du système universitaire australien. Il est important de se rappeler que le monde et la société ont quand même changé depuis les 10 dernières années. Par exemple, nous n’avons qu’à penser aux téléphones intelligents qui accaparent plusieurs heures de notre journée devant normalement être dédiées à notre sommeil. Cela étant dit, au moins, il y a du matériel en français.

Sur une note plus personnelle, je trouve dommage le fait que Transports Canada ne communique pas plus adéquatement les ressources disponibles et qu’elles ne soient pas plus accessibles que présentement. Il serait important aussi de garder l’ensemble du matériel à jour et d’inciter les compagnies et la communauté à y participer plus activement.

En terminant, est-ce qu’il faut réglementer le temps de travail du personnel de la maintenance? Peut-être que oui, mais il y a un coût associé à une réglementation. Est-ce que Transports Canada pourrait s’inspirer de ce qui a été fait du côté de la FAA durant les dernières années? Ça prend quand même des ressources et des employés… Est-ce que les techniciens pourraient simplement, par eux-mêmes, adopter de bonnes habitudes sur la gestion de leur fatigue? Sûrement… Mais une chose est certaine, tout cela doit se faire en partenariat et j’encourage tous les gens impliqués dans la maintenance des aéronefs à aller s’informer et à s’instruire sur le sujet en utilisant les références de cette chronique.

Bonne lecture!