La disparition de l’Oiseau blanc avec ses deux pilotes français lors de la première tentative de traversée entre Paris et New York, en 1927, renforça la conviction que des vols de l’est vers l’ouest étaient alors impossibles à réussir en raison des vents contraires dominants. Ce sera un équipage irlando-allemand qui réalisera pour la première fois cet exploit en avril 1928, lors du vol historique mais aujourd’hui méconnu du Junkers W-33 Bremen.
Le 12 avril 1928, à 5 h 38, lorsqu’aux commandes du Bremen, ils quittèrent l’aéroport de Baldonel, près de Dublin, les trois aviateurs, deux Allemands et un Irlandais, avaient pour objectif d’atteindre New York. Ils n’atteignirent jamais New York, mais une petite île perdue entre Terre-Neuve et le Labrador, appelée Greenly. Le commandant James Fitzmaurice, le capitaine Herman Koehl et le baron Ehrenfreid Von Hünefeld marquèrent pour toujours l’histoire de l’aviation en accomplissant la première traversée sans escale de l’Atlantique dans le sens est-ouest. Ils réalisèrent l’exploit une année après celui du célébrissime Charles Lindberg qui avait réussi la traversée dans le sens inverse, de New York à Paris.
L’envolée du Bremen dura plus d’une journée et demie. Le trajet nécessitait un effort physique intense de chaque seconde. Les aviateurs se relayaient toutes les demi-heures pour tenir le coup. L’appareil ne possédait aucun système de chauffage et il n’y avait pas de radio à bord. Le vent de face avait réduit la vitesse de croisière à moins de 120 km/heure. Vissés à leurs instruments, ils livrèrent un combat sans merci aux éléments. Dans la cabine de pilotage, les trois forçats du ciel, épuisés, volaient depuis maintenant 36 heures et demie. Il faisait presque nuit. À travers l’obscurité et la neige qui tombait dru, ils scrutaient avec anxiété au-dessous, cherchant fiévreusement une parcelle de terre pour évaluer leur position géographique, se croyant toujours en route vers New York. Les flocons devenaient de plus en plus épais et le vent de plus en plus violent. Un objet sombre surgit soudain, qu’ils prirent pour la cheminée d’un navire. L’équipage du Bremen passa et repassa au-dessus de la colonne mystérieuse, bientôt soulagé de découvrir qu’il s’agissait d’un phare. Ils savaient qu’ils avaient atteint l’Amérique, mais où? À bout de forces et de carburant, ils décidèrent d’atterrir à proximité du phare, Pendant un moment, ils survolèrent les lieux en quête de l’endroit le moins dangereux où se poser, puis retenant leur souffle, ils amorcèrent la descente… à la grâce de Dieu.
Le 13 avril 1928, à 18 h 8, le coucou de ferraille atterrit dans un tapage d’enfer. Les trois hommes étaient sains et saufs, mais les pneus du Bremen s’étaient enfoncés dans la glace. L’hélice était endommagée.
Au même moment, le fils du gardien du phare était entré en hurlant chez lui après avoir été témoin de l’atterrissage. Son père, sortit aussitôt et courut au secours de l’équipage, s’attendant au pire. Il trouva les trois hommes ébranlés mais indemnes. Ils apprennent alors qu’ils ont complété leur vol transatlantique sur l’île Verte (Greenly), au large de la Basse-Côte-Nord du golfe Saint-Laurent, à l’extrémité est du Québec, mais qu’ils avaient échoué bien loin de New York où les attendaient des milliers de personnes. C’est par l’entremise de la station télégraphique de Lourdes-de-Blanc-Sablon, un village de pêcheurs situé non loin, que l’Amérique et le monde apprendra l’arrivée du Bremen sur le continent.
Le 15 avril 1928, au surlendemain de l’atterrissage forcé, un avion Fairchild sur skis part du lac Sainte-Agnès, près de La Malbaie, avec un mécanicien à son bord pour réparer le Bremen. Ce sera peine perdue. Après moult péripéties, l’appareil sera remorqué par des chiens jusqu’à Lourdes-de-Blanc-Sablon, puis démonté. Le 18 avril, un second avion Fairchild se pose sur l’île Greenly pour récupérer l’équipage du Bremen. C’est à Roméo Vachon, ce Beauceron qui allait marquer l’histoire de l’aviation québécoise, que fut confiée la mission d’amener des journalistes à l’île Greenly et de raccompagner l’équipage de l’avion allemand dans Charlevoix.
Les pilotes seront accueillis en héros et l’équipage du Bremen honoré pendant des semaines au Canada et aux États-Unis. Le 28 avril 1928, l’équipage du Bremen aura droit à la traditionnelle ticker-tape parade, à Manhattan. Le président des États-Unis fera même passer une loi spéciale par le Congrès américain afin de décerner à Köhl la Distinguished Flying Cross, la plus haute distinction réservée aux pilotes américains. Le 19 juin 1928, ce sera une foule enthousiaste qui accueillera les héros à Brême, en Allemagne.
Quant au Bremen, l’appareil démonté regagna l’Europe en bateau quelques mois après son vol historique et fut réparé aux ateliers Junkers à Dessau. Le baron Hünefeld tenta sans succès d’offrir le Bremen à divers musées allemands. Dépité, il en fit don au peuple américain. Il fut finalement acquis en 1938 par le Henry Ford Museum situé à Detroit, au Michigan, pour y être exposé jusqu’en 1996. Finalement rapatrié en Allemagne en 1997, le retour de cet avion légendaire fut marqué en 1998 par une cérémonie soulignant le 70e anniversaire de son vol historique. Il est depuis exposé à l’aéroport de Brême où on peut dorénavant l’admirer.
ERRATUM
Une erreur s’est glissée dans la dernière chronique Saviez-vous que….
On aurait dû lire « Serge Boucher (ex-directeur du CQFA) » au lieu de Pierre Boucher.