Coup de cœur
Alors que nombre de personnes de son âge demeurent dans le confort de leur foyer ou restent cloîtrées dans un centre d’accueil, en plein hiver, lui pilote au-dessus des plaines et des bois enneigés. Portrait de ce personnage éclectique défiant le temps.
Voici déjà quelques numéros, je vous ai présenté Roger Ménard, né en 1932, instructeur classe 1 mais aussi internaute très présent… sur Facebook ! Je vous ai également entretenu de Claude Raymond, un ami suisse octogénaire, grand amateur de train classique, n’ayant rien trouvé de plus divertissant que de « faire un aller-retour » jusqu’à la Terre de Feu avec un Cessna. Aujourd’hui, par l’entremise de Pierre Harvey – éditeur du magazine – j’ai le plaisir de rencontrer le sieur Huot, un autre représentant hyper actif du troisième, voire du quatrième âge.
Première vie
Né à Québec, le 16 décembre 1929, Lucien Huot entre en religion en 1943. Frère de l’Instruction chrétienne, à la Fondation Ploërmel, il enseigne, dès 1949, les mathématiques, la physique et la chimie dans les écoles publiques. Dans les années 1960, le système éducatif québécois échappe au pouvoir confessionnel. Un ministre de l’Éducation est nommé. Ce remaniement ne convient pas tout à fait au frère Lucien. L’expatriation représente alors pour lui un nouveau défi. En 1964, on l’envoie en Ouganda où, très vite, il se fait remarquer en tentant de fonder… une école de parachutisme. Fort de ses 23 sauts et d’un diplôme obtenu dans le Massachusetts, le religieux se fait tirer derrière une camionnette à l’aide d’un câble mesurant 600 pi (183 m) pour prendre de l’altitude. Une fois en l’air, à quelque 300 pi du sol (à peine une centaine de mètres), il large l’amarre et descend pendu à son pépin rond. Parfois, une ascension en avion lui est proposée gracieusement. C’est mieux mais pas assez pour calmer le stress de son supérieur. Le projet avorte. Nommé économe malgré lui dans une école comptant 987 pensionnaires, il s’investit auprès de ses ouailles. Le rythme de sa vie africaine semble lui convenir. Un jour, l’homme de Dieu rencontre l’homme du diable, en la personne d’Idi Amin Dada. « C’était environ six mois avant le putsch de 1971 », se souvient-il. Et de rajouter : « Un ignorant, fin comme un renard ! » Alors lieutenant-colonel, le dictateur en devenir dirigeait un camp militaire où Lucien Huot et quelques-uns de ses élèves étaient reçus dans le cadre d’une visite pédagogique. Toujours selon ses dires, ce géant haut gradé se tenait à part, car il n’avait pas de conversation. Rencontre insolite, s’il en est…
Deuxième vie
L’année 1971 marque aussi le retour à la vie civile de notre protagoniste. Défroqué, il se marie avec une Indienne, ex-officier de l’armée britannique. Ensemble, ils s’installent au Québec. À Sept-Îles, Lucien Huot, alors dans la quarantaine, suit un cours de pilotage sur Piper Super Cub. Selon la saison, le monomoteur est configuré sur roues, flotteurs ou skis. Il obtient la licence de pilote privé nº 113256 et accumule 378 heures de vol sur cet appareil. Puis en 1975, il délaisse provisoirement l’aviation pour acheter une maison sur la Basse-Côte-Nord. Les années passent. En 2000, le couple déménage à Trois-Rivières pour des raisons pratiques. Malade, l’épouse de monsieur Huot doit suivre des traitements à l’hôpital. Malheureusement, celle-ci décède en 2003. Veuf et sans enfant, le désormais septuagénaire occupe son temps au gré de projets divers. Puis, en 2004, il rencontre Sylvain Boucher – instructeur ULM à Saint-Mathieu-de-Beloeil (CSB3) – et alors représentant régional de la marque Air Création. Une complicité aéronautique nait. Sylvain (avec qui j’ai déjà eu l’occasion de voler) initie son nouveau stagiaire au deltaplane motorisé – en l’occurrence sur modèle Clipper. Lucien Huot n’a pas à passer d’examen théorique ou pratique additionnel puisque sa licence de pilote privé avion prévaut sur le brevet de pilote d’ultralégers. Néanmoins, une formation complémentaire semble de mise. Il s’en acquitte très vite et, dès 2006, décide de voler de ses propres ailes.
Troisième vie
L’achat d’un Air Création Tanarg, doté d’une aile Bionix à configuration variable, lui permet d’assouvir sa passion. À 70 kts (130 km/h), il redécouvre la province entre 500 et 6000 pi (152 et 1829 m). Dix ans plus tard, à 85 ans, il s’inscrit à un tour du Québec réservé aux ULM. Aux commandes de sa machine, mue par un Rotax 912, il parcourt quelque 2000 km, et ce, dans des conditions météorologiques pas spécialement idéales. Quinze jours d’aventure qu’il espère bien renouveler en août prochain ! Pour l’heure, sur le tarmac de Trois-Rivières (CYRQ), il fait évoluer C-IVHA pour les besoins de notre petite séance photos. Emmitouflé dans sa combinaison chauffante, il ne semble pas souffrir du froid. Bientôt, il s’envolera pour une balade locale. Histoire de maintenir la forme. Histoire de s’amuser aussi. Jeunes et vieux, prenez exemple !