Un texte de Paul-Robert Raymond

Au Québec, il n’y a pas que la population qui vieillit… La flotte d’avions à hélices à usage commercial aussi! Pour dresser un portrait réaliste et complet, l’Association québécoise du transport aérien (AQTA), en collaboration avec le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports du Québec, a commandé une vaste étude sur l’état de la flotte au Québec. Excellente nouvelle donc pour les transporteurs québécois, puisqu’il s’agit de la première étape d’un processus d’accompagnement dans le renouvellement de leur flotte.

À lui seul, l’âge des aéronefs ne cause pas de problème par l’entretien soutenu auquel la flotte est soumise, mais qui dit flotte vieillissante dit dépassement technologique à prévoir. En plus de la technologie, la réglementation – en termes de normes d’atténuation du bruit ou de navigation aérienne – et les préoccupations environnementales diffèrent grandement de ce qui existait il y a 20, 30 ou 40 ans.

Si rien n’est fait, les exploitants devront mettre les bouchées doubles pour assurer la mise à niveau de leurs avions. Mais comment donc les ressources financières (ordres de gouvernements et institutions financières) pourraient aider ces transporteurs? La firme OCTANT étudiera d’abord l’écart entre l’état de la flotte et ce à quoi elle devra répondre, et identifiera ensuite les pistes de solutions et partenaires pouvant contribuer à améliorer la situation.

Une méthode exhaustive

Pour arriver à ses fins, la firme mandatée par l’AQTA a sondé les 61 transporteurs aériens québécois qui exploitent des avions sous les dispositions des parties 406 (écoles de pilotage), 703 (nolisement d’appareils de moins de 10 passagers – avions sur roues et hydravions) et 704 (nolisement d’avions de 10 à 19 passagers) du Règlement de l’aviation civile (RAC) du Canada. Au préalable, OCTANT aura recensé tous les aéronefs touchés par ces dispositions du RAC en recoupant les données du Registre des aéronefs civils canadiens (RACC) avec celles des listes de Transports Canada. De plus, à l’aide de ces mêmes données, une comparaison avec les autres provinces canadiennes aura été faite pour comparer l’état de la flotte québécoise avec celle du reste du pays.

Certaines zones ont cependant été exclues de cette étude comparative, par exemple la Colombie-Britannique, vu le nombre élevé d’hydravions qui y sont exploités. « C’est la province de l’hydravion, on ne peut pas la comparer avec le Québec », explique Nathalie Tousignant, présidente d’OCTANT et responsable de l’étude. Les Maritimes l’ont été également parce que l’industrie du transport aérien y est moins développée.

Enfin, pour simplifier la réalisation de l’étude, certaines autres catégories d’avions, comme les jets privés, souvent exploités par des entreprises offrant des services de gestion à des propriétaires corporatifs ou privés qui utilisent leurs avions à des fins professionnelles ou personnelles, ainsi que les exploitants opérant sous les dispositions 702 (travail aérien ̶ épandage, photographie, surveillance aérienne, etc.) et 705 (transport de 20 passagers et plus) ont été exclus de l’échantillonnage.

Premier constat : très peu d’avions récents

Les résultats de cette comparaison parlent d’eux-mêmes… Le Québec n’a pas une place enviable quant au nombre d’avions ayant été construits entre 2000 et 2015 : seulement 6 % de la flotte totale des avions exploités sous les certificats 406, 703 et 704. En fait, la province occupe l’avant-dernière place, ex æquo avec le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest. La dernière place est occupée par la Saskatchewan, qui ne compte que 3 % d’avions récents.

Les deux provinces en tête de peloton sont l’Ontario et l’Alberta (ex æquo, avec 17 % de leur flotte respective) alors que le Manitoba est au deuxième rang avec 12 %.

Au Québec, sous les certifications 406 et 703, l’écart à rattraper est plus grand. Dans la première catégorie, 75 % des avions ̶ majoritairement des Cessna 150, 152 et 172 ̶ utilisés par les écoles de pilotage ont été construits avant les années 1980. La problématique ici peut se situer au chapitre de la formation des pilotes aux nouvelles technologies, que l’on appelle communément les glass cockpits. Dans certaines écoles en effet, on ne compte qu’un seul appareil doté de cette technologie. L’Ontario, le Manitoba et l’Alberta en possèdent davantage, puisque leur flotte est plus récente.

Du côté des exploitants certifiés 703 ̶ vol de brousse, ceux-ci utilisent des avions encore plus anciens : De Havilland Canada ̶ DHC-2 Beaver, DHC-3 Otter et DHC-6 Twin Otter occupent le premier rang de cette catégorie. Plus du quart de la flotte date des années 1950, un dixième origine des années 1960 et presque la moitié des avions ont été construits dans les années 1970. Les avions des années 1980 et plus ne représentent qu’environ 15 % de la flotte.

En ce qui concerne la certification 703 ̶ avions sur roues, le constat est un peu plus encoura­geant. Près de six avions sur dix proviennent des décennies 1960 et 1970, dont un peu plus de 50 % des années 1970. Le reste est divisé entre les décennies 1980 (± 20 %), 1990 (± 7 %) et 2000 (± 13 %). Les avions construits entre 2010 et 2015 ne représentent qu’un maigre 2 %.

L’Ontario et l’Alberta peuvent compter sur les services d’une flotte plus récente dans cette certification. Beechcraft ̶ King Air 100, 200, 300 et 90 ainsi que Beechcraft 1900  ̶  est le constructeur chouchou dans cette catégorie.

Pour ce qui est des quinze avions exploités sous le certificat 704, huit avions sur dix ont été construits entre 1990 et 1999, ce qui est très bien, alors que le reste l’a été dans les années 1980. L’Ontario et l’Alberta ont une situation à peu près semblable.

Une flotte qui a pris de la valeur, mais…

Pourquoi l’âge de la flotte d’avions a-t-il plafonné en majeure partie dans les années 70? « Les renouvellements de flottes suivent souvent les cycles économiques. En Alberta par exemple, la flotte est plus jeune qu’au Québec grâce aux revenus générés par la vitalité de l’industrie pétrolière des années 2000, alors qu’ici, le boom économique de la Baie-James a très certainement contribué à renouveler la flotte dans les années 70… », raconte Mme Tousignant.

Mais pourquoi les exploitants ont-ils gardé leurs avions aussi longtemps? « Parce que le prix des avions neufs ou récents est très élevé, rendant l’atteinte de la rentabilité plus difficile pour les entreprises qui voulaient renouveler leur flotte. Mais aussi, continue-t-elle, parce que durant plusieurs années, la valeur des vieux avions progressait avec le temps. Un peu comme si on investissait dans un bon REER! La valeur de l’actif des compagnies progressait sans trop d’efforts! Depuis quelques années cependant, les propriétaires font face au phénomène inverse. La valeur de ces avions légendaires se met à décliner, de sorte que des propriétaires de DHC-2 Beaver ou de DHC-3 Otter peinent à vendre leurs appareils, même à des prix très abordables. »

Exclu de l’étude lui aussi, le secteur des exploitants d’hélicoptères ne vit pas le même phénomène que celui des avions à hélices. Toujours selon Mme Tousignant, ce secteur s’est développé plus tard, expliquant en partie pourquoi la flotte est beaucoup plus jeune. De plus, les manufacturiers d’hélicoptères proposent sans cesse aux exploitants des améliorations opérationnelles, ce qui a pour effet de maintenir la flotte d’hélicoptères à un niveau enviable.

Quelles sont les solutions?

Les conclusions de cette première partie de l’étude sont claires : la flotte d’avions doit être mise à jour, pas tant pour des considérations mécaniques, mais plutôt pour répondre aux nouvelles normes, notamment en matière de sécurité aérienne et d’environnement. Selon la responsable du projet, il n’y a pas de solutions simples… « Mais comment moderniser la flotte? En installant de la nouvelle avionique? En changeant les moteurs actuels pour d’autres, moins énergivores, moins polluants?, se questionne-t-elle. Surtout, il ne faut pas passer sous silence qu’en ce moment, les exploitants sont davantage en mode survie qu’en période d’abondance, avertit Mme Tousignant. »

D’abord, au chapitre de la navigation aérienne, de nouvelles technologies sont en cours d’implantation. L’une d’entre elles est le déploiement de la couverture ADS-B (pour Surveillance dépendante automatique en mode diffusion ADS-B). À bord des aéronefs aux États-Unis en 2020, cet équipement sera obligatoire. Ici, aucune date n’a été arrêtée, quoique NAV CANADA travaille sur sa couverture ADS-B pour implantation en 2018. En plus de bénéficier de la surveillance par satellite dans le Nord-du-Québec, cette technologie permettra à l’exploitant qui s’y abonne de surveiller ses propres appareils en temps réel. Il s’agit là d’une avancée importante en matière de sécurité.

« Mais il n’y a rien de simple, spécifie Mme Tousignant. À titre d’exemple, la couverture ADS-B chez NAV CANADA se fera à l’aide de satellites, alors qu’aux États-Unis, ce sera par des antennes au sol. Or, on se sait pas encore si l’équipement à installer à bord pourra servir tant pour la couverture américaine que canadienne. »

Ensuite, au chapitre de la réduction d’émissions de gaz à effet de serre, les nouvelles normes sont imposées uniquement aux fabricants de moteurs et d’aéronefs. Elles ne s’appliquent qu’aux avions neufs. Rien pour la flotte actuelle… Aucune norme donc pour les exploitants ni autre forme d’aide possible. À titre d’exemple, en Europe, la conversion des moteurs au diesel est devenue monnaie courante. Là-bas, contrairement au Québec, la main-d’œuvre spécialisée dans l’entretien de tels moteurs est plus répandue.

Enfin, dans le cas de l’atténuation du bruit, quelques solutions ne nécessitent pas d’installation d’équipement, comme la gestion des heures et des orientations de décollage, ainsi que la direction des circuits et des approches. L’installation de silencieux sur les avions est certainement la mesure qui risquerait de faire le plus mal au portefeuille des exploitants…

Scepticisme et inquiétude chez les exploitants

Un des plus grands défis pour eux est la modification des moteurs à des fins d’utilisation de carburants moins polluants. M. Alain Priem, président d’Hydravion Aventure, explique qu’à l’horizon de 2020, le carburant au plomb devra être retiré du marché. De nouveaux carburants sans plomb devront être utilisés dans les aéronefs à moteur à pistons.

« Mais peu d’information sur le sujet circule. On ne sait pas où on s’en va… », déplore-t-il. Il faut prévoir des budgets pour une telle conversion des moteurs », ajoute celui qui a mis à neuf les moteurs de ses avions (jusqu’en 2018).

« En ce moment, si on vole au nord de Schefferville, il faut faire transporter des barils de 100LL au préalable », affirme celui qui exploite sept avions (six hydravions et un bimoteur sur roues) pour le transport de touristes dans le Nord-du-Québec.

Les sentiments du dirigeant de l’entreprise basée à Saint-Étienne-des-Grès, en Mauricie, sont partagés. L’étude lui donne un peu d’espoir, sans trop savoir s’il doit y croire, à la condition que des sommes soient accordées pour aider l’industrie. Il y a aussi une part d’inquiétude…

« On est dans une période de mutation… la technologie des moteurs des Beaver par exemple date des années 1930! En Europe, des développements majeurs se font sur la motorisation, autant du côté électrique que des moteurs diesel à deux temps. On va passer de la Préhistoire à l’ère moderne d’un seul coup! »

Finalement, bien qu’il soit prématuré de tirer des conclusions à l’heure actuelle, il demeure nécessaire de comprendre que l’étude en cours est un jalon important du processus éventuel de modernisation de la flotte d’aéronefs au Québec. Pour les transporteurs aériens du Québec, il s’agit d’une opportunité à saisir, puisqu’elle leur permettra d’être mieux outillés pour faire face aux défis qui les attendent.