Rien ne semblait prédestiner cette jeune femme à s’intéresser un jour à un métier de l’aviation. Pourtant, un événement majeur dans son pays allait tout changer. Une véritable révélation la saisit alors. Un appel sans équivoque. Mais pour ce faire, il lui fallait mettre le cap sur l’Occident. Au Québec, chez Hélipsair, son avenir était en marche…
Depuis quelques années déjà, une école de pilotage d’avions québécoise nous a habitués à la présence d´étudiants chinois à CYHU. L’ouverture progressive de l’espace aérien civil, dans l’Empire du Milieu, correspond à cet afflux constant de jeunes hommes et (quelques) femmes dans la Belle Province. Manne providentielle pour certains centres de formation, opportunité de carrière pour ces sympathiques étrangers et… occasionnel casse-tête pour nos braves aiguilleurs des tours de contrôle environnantes ! Et pour cause : les communications radio. Celles-ci représentant un défi quasi permanent pour les deux clans. Pour qui s’est déjà essayé au mandarin, il sera aisé d’appréhender la difficulté de pratiquer un idiome n’ayant aucun point commun avec une quelconque langue occidentale. Et vice versa. Comprendre et se faire comprendre… Bien sûr, en vol comme au sol, les élèves-pilotes chinois privilégient l’anglais, langue de l’aéronautique. Point de français donc. Mais soyons objectifs ! À quoi leur servirait de faire un (énorme) effort supplémentaire quand, une fois leur licence en poche, tous retourneront chez eux pour entamer une carrière intramuros ? C’est ce que me confie Fei Yang qui, de son côté, a préféré le domaine des rotors à celui des ailes fixes. Un choix qui l’a menée non pas à Saint-Hubert mais à Mirabel, en périphérie de l’agglomération et à quelques encablures de Bell Helicopter.
Faits, circonstances et opportunité
En mai 2008, la province du Sichuan est ravagée par un séisme d’une magnitude dépassant 8 sur l’échelle de Richter. Le bilan humain est lourd : quelque 70 000 morts, près de 20 000 disparus et plus de 370 000 blessés ! Sans parler des millions d’infrastructures détruites ou lourdement endommagées. Fei Yang ne vit pas dans cette région (centre du pays) mais à l’est, dans le Shandong. À la télévision, comme des millions d’autres Chinois, elle suit les nouvelles de la catastrophe en famille et se rend compte que les secours manquent et que les moyens logistiques font défaut. Les véhicules terrestres peinent à intervenir, car les voies de communication, pour la plupart, se sont effondrées. Seuls les hélicoptères demeurent opérationnels. Mais leur nombre est limité. Les équipages le sont également. Pour Fei, c’est le déclic. Elle se verrait bien aux commandes d’un de ces EC130 de sauvetage. Mais pour l’heure, ce sont ses études de dentiste qui l’occupent. Le temps passe. La Chine se relève. Fei obtient son diplôme et commence à exercer son métier. Mais le rêve de devenir rescue pilot perdure. Avec l’aide d’un oncle, lui-même pilote (le seul dans sa famille œuvrant dans l’aviation), Fei mène une investigation auprès de l’Administration de l’aviation civile de Chine (CAAC). L’espace aérien, jusqu’à présent réservé aux militaires, est en train de s’ouvrir. Cela crée des besoins autant au niveau de l’équipement matériel qu’en ressources humaines. Parallèlement, David Godment – fondateur d’Hélipsair et chef instructeur –, conscient de cette niche commerciale, a développé un partenariat avec la compagnie chinoise DAYU. Ensemble, ils recrutent de futurs élèves-pilotes souhaitant faire leur formation au Canada. Un premier petit contingent débarque au Québec. Puis un autre. Fei Yang fait ainsi partie de la dizaine de jeunes Chinois formés initialement à Mirabel. Une expérience motivante et pour le moins productive !
Cursus, résultats et desseins
Arrivée au printemps 2015, la jeune femme compte actuellement 70 heures de vol accumulées à bord de Robinson R22 – sur les 100 requises pour devenir pilote professionnel hélicoptères. Elle a aussi passé son examen théorique. Non sans quelques difficultés, comme nombre de ses compatriotes, car les subtilités des QCM de Transports Canada sont parfois déroutantes… Âgée aujourd’hui de 26 ans, Fei compte terminer sa formation sous peu. Lors de notre entrevue, en mars dernier, elle m’avoue souhaiter rentrer en Chine dès qu’elle aura complété sa formation. Contente de retrouver sa famille – ses parents sont paraît-il préoccupés par sa nouvelle voie professionnelle – et de revoir son pays, elle semble également très enthousiaste à l’idée d’homologuer sa licence, dans la foulée, puis de trouver un job. Pour cela, il lui faudra suivre un petit stage de conversion. Modus operandi : mises à niveau théorique et pratique (incluant environ cinq heures de vol sur R22 et/ou R44) et présentation des examens sanctionnant la licence chinoise. Et ensuite ? « Je devrais pouvoir décrocher un premier emploi assez facilement, confie-t-elle. La Chine manque de pilotes. Surtout dans le domaine de l’hélico. Même avec moins de 1000 heures de vol, ce n’est pas trop difficile de trouver du travail. » Et d’ajouter : « Dès lors, je pourrai commencer à rembourser les frais de ma formation à ma famille. » Un montant conséquent (mais tout de même moins élevé qu’en Chine) qu’elle n’aurait jamais pu assumer seule avec son salaire de dentiste, soit à peine 1 000 $ CA mensuels. Avec un peu de chance, doublée d’une qualification turbine, l’ex-professionnelle de la santé intégrera vite un équipage opérant sur une machine performante. Le travail aérien se diversifiant de plus en plus dans son pays, elle aura ainsi l’opportunité de monter des heures tout en gravissant des échelons techniques et hiérarchiques. Il lui faudra néanmoins considérer l’aspect sécuritaire, avant tout choix de fonction ou de compagnie. En effet, en Chine, selon David Godment, la sécurité des vols laisse parfois à désirer. Se rendant régulièrement en Asie, celui-ci a fréquemment relevé de graves lacunes à ce niveau. Heureusement, formée selon les standards canadiens, miss Yang devrait pouvoir détecter rapidement tout manquement dans ce domaine. Souhaitons seulement que l’opportunité d’un poste semblant prometteur n’affecte pas son jugement. Comme le dit un proverbe chinois : Les actes valent mieux qu’un long discours 事实胜于雄辩. Et Fei ne saurait faillir à ce sage principe.
Photos : Rchard Saint-George