J’avais souvent essayé d’imaginer comment ça pouvait être un vol à bord d’un avion de chasse de la Deuxième Guerre mondiale. Puis, avec la technologie, sont venus les jeux de simulation sur ordinateur et plein de vidéo-clips sur YouTube. Je me rapprochais de la réalité, enfin je le croyais. Mais le vivre!
Quelle différence! Ce sont maintenant des images, des sons et des sensations qui sont gravés à jamais dans ma mémoire. Il m’a fallu voir et revoir mes photos pour y croire. Non, je n’avais pas rêvé…
Avec le privilège de monter à bord de l’unique Curtiss P-40 muni d’un siège arrière (et d’une double commande!), j’étais tout d’abord bien conscient que j’allais vivre une expérience unique. Mais, est-ce que l’expression « doublement unique » existe? Car, comme il s’agissait d’une pratique de vol en formation, nous allions voler avec un autre chasseur à nos côtés : un Mustang P-51!
Au briefing, les pilotes Dave Hadfield et John Aitken se mirent d’accord sur le déroulement du vol : après s’être rejoints, le Mustang serait le leader durant la première partie du vol en formation; ensuite, ce serait le tour du P-40. Je jubilais déjà à l’idée des possibilités d’angles variés de prises de vue pour la photographie! En marchant vers l’avion, l’ambiance était décontractée. C’était déjà un bon feeling. Puis Dave me donna les instructions de sécurité et je reçus de l’aide pour me sangler à mon parachute et sur le siège arrière. Vivre l’expérience de la mise en route du moteur Allison depuis l’intérieur de l’avion était le début d’une jouissance totale. Le pilote tourna la main pour indiquer aux signaleurs qu’il mettait en route. Il y eut le fort bruit du démarreur, puis l’hélice tourna, le moteur cafouilla et pulsa de généreuses bouffées de gaz d’échappement qui excitèrent les narines et, finalement, il démarra à la seconde tentative. Les vibrations et surtout le grondement du moteur me chatouillaient la colonne vertébrale. J’étais si fortement attaché à mon siège que je ne pouvais bouger que les bras, les jambes et la tête. Impossible de se pencher en avant, mais qu’importe, le siège était très confortable et le parachute, un très bon coussin. Le contact radio était impeccable. On fit un peu de roulage pour se mettre dans une position adéquate afin de chauffer le moteur. Quel bruit! Que c’est bruyant à l’intérieur d’un P-40! Heureusement, le casque d’écoute palliait un peu le problème. Mais j’étais là pour tout vivre et jouir de tout, y compris ce bruit digne de la puissance du moteur V-12 Allison de 1150 chevaux-vapeur.
Au décollage, ce fut une apothéose de puissance. J’étais collé au siège. Il n’a fallu que quelques secondes pour que la queue se soulève et moins de 15 secondes pour quitter le sol! Je croyais que Dave avait mis pleins gaz, mais pas du tout. Il n’avait mis que les trois quarts de la puissance pour le décollage. Grimper dans les airs a été d’une aisance déconcertante et voler de concert avec le Mustang, à portée de main à une vitesse moyenne de 290 km/h au-dessus des forêts et des lacs pendant de longues minutes, était jouissif. Les deux avions glissaient dans le ciel comme dans un rêve, le Mustang tantôt à droite, tantôt à gauche, au-dessus, devant…
La mélopée du moteur était rassurante. Le paysage au sol défilait à une vitesse impressionnante. Je me sentais puissant, dans un avion puissant. J’essayais de m’imaginer une rencontre avec des avions ennemis ou encore être sur le point d’exécuter des attaques au sol. Il semblait que les P-40 étaient excellents pour les accomplir. Je pensais, qu’en plus de la vitesse au sol déjà élevée, le simple fait de plonger l’augmentant, l’avion devait réellement arriver en trombe sur sa cible.
Retour dans l’histoire…, je me disais « Voilà ce que devaient ressentir et voir de leurs avions les pilotes de P-40, les Flying Tigers, ou notre héros canadien James (Stocky) Edwards à qui ce Curtiss Kittyhawk est dédié. » Stocky Edwards, DFM, DFC avec barrette, Ordre du Canada, est un As canadien de la Deuxième Guerre toujours en vie et ayant le plus haut score : 19 victoires, 2 partagées, 6,5 probables, 17 avions endommagés et 12 détruits au sol. Il ne fut jamais descendu au cours des 373 missions qu’il a accomplies. Je comprenais aussi combien il fallait être en bonne forme physique pour piloter un tel avion. Ces pilotes de guerre étaient des surhommes!
Le retour à l’aéroport se fit après un bon virage serré à gauche, Dave m’ayant prévenu « Some action to come, Pierre! » J’étais traité aux petits oignons avec MON pilote! Dave a posé l’appareil avec une grande douceur. Tout le vol s’est déroulé magnifiquement et je me suis senti tout le temps en parfaite sécurité, entre les mains expertes d’un homme à qui je n’ai que des éloges à faire! Puis, par la suite, j’ai mis au moins trois jours à me remettre émotivement de cette formidable expérience!
Le Mustang P-51D des AEC est muni d’une place arrière. Le vol en formation de chasseurs permet de prendre pleine conscience de ce que pouvaient être les impressions vécues par les pilotes de guerre à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale. (Photos : Pierre Lapprand)
Quelques mots sur le Curtiss P-40
Conçu et construit par la Curtiss-Wright Corporation aux États-Unis, le Curtiss P-40 fit son premier vol en 1938. Bien que sous-estimé et jugé de faible puissance, il était un formidable chasseur bombardier d’attaque au sol. Il avait une grande autonomie de vol (1100 km) et une bonne plaque de blindage. Il était le seul chasseur américain disponible lors de l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941. Il a été déployé en Chine, en Nouvelle-Zélande, aux îles Aléoutiennes et en Afrique du Nord (La Desert Air Force de la RAF). Il fut célèbre grâce aux fameux Flying Tigers du général Claire Chenault en Chine.
Le Commonwealth britannique l’appelait « Kittyhawk »; d’autres variantes ont été appelées « Tomahawk » et « Warhawk ». Des 13 738 P-40 construits, 37 volent encore et celui des AEC est l’avant-dernier exemplaire, fabriqué en 1943, qui servit en Papouasie-Nouvelle-Guinée dans l’escadron 78 de la Royal Australian Air Force. Endommagé à l’atterrissage, il fut poussé hors de la piste et abandonné dans la jungle jusqu’à sa découverte en 2001. Il fut alors restauré par la Pioneer Aero d’Ardmore en Nouvelle-Zélande et acquis par les AEC en 2006. En 2009, il reçut la nomination de « Meilleur Chasseur» par la E.A.A. Airventure. L’avion est aujourd’hui peint aux couleurs de la Desert Air Force aux marques HS-B du commandant James (Stocky) Edwards, pilote dans l’escadron 260 de la RAF en Afrique du Nord.
Le P-40 des AEC, vu depuis le Mustang. (Photo : Richard Lacroix)
Le programme des Ailes de l’Histoire
Grâce à ce programme et sous certaines conditions, les AEC permettent au public de faire un vol à bord de l’un de ses avions de collection, y compris à bord de son Curtiss P-40N Kittyhawk et de son Mustang P-51D. Les autres avions du programme sont les avions-écoles suivants : un Fleet-Finch, un Fairchild Cornell, un Harvard et un De Havilland Chipmunk. Une personne désirant accomplir un vol doit devenir membre des AEC et parrainer financièrement l’un de ces avions. Elle doit être en bonne forme physique et ne pas dépasser une certaine limite de poids selon l’avion choisi. Elle doit accepter le fait que pour des raisons techniques et météorologiques, certains vols peuvent être annulés ou reportés. Le montant du parrainage varie en fonction de l’avion choisi. Pour plus d’information, appeler le 819-669-9603. Selon le moment de l’année, il y a la possibilité de vols en formation, également avec le Lancaster du Canadian Warplane Heritage Museum d’Hamilton. Croyez-moi, il y a peu d’endroits sur la planète où nous pouvons vivre une telle expérience mémorable. Et, comme le dit si bien le fondateur des Ailes d’époque, Mike Potter, « Pour revivre l’Histoire, il n’y a pas d’autres façons plus convaincantes que d’en faire partie ».
Pendant un bref moment, le Mustang est passé devant nous, juste à la hauteur du collimateur du Curtiss P-40. Pour un instant, il ressemblait à un Messerschmitt 109, vu à travers la verrière du cockpit. On croirait presque qu’on est sur le point d’abattre un avion ennemi. (Photo : Pierre Lapprand)
De retour à l’aéroport de Gatineau. Au fond de l’image, le hangar des Ailes d’époque, juste dans l’axe du Mustang. (Photo : Pierre Lapprand)
Remerciements aux Ailes d’époque du Canada et particulièrement à son fondateur, Michael Potter, au directeur général Peter Allen, aux pilotes Dave Hadfield et John Aitken ainsi qu’à mes collègues bénévoles Mike Virr et Richard Lacroix.