(2e partie)

Après avoir survolé en France, le 9 avril dernier, le Mémorial national du Canada érigé sur la crête de Vimy, dans le cadre du centenaire de cette bataille remportée glorieusement par les Canadiens, le groupe Vol Vimy faisait une étape aux Ailes d’époque du Canada (AEC), à Gatineau, au cours de leur tournée pancanadienne pour célébrer le 150e anniversaire du Canada et pour survoler la colline du Parlement lors de la fête du Canada. Nous avons accueilli 3 répliques de Bébé (BB) Nieuport XI et nous avons eu le plaisir de rencontrer plusieurs membres de ce groupe formidable. Voici la suite de mon article précédent.

Ce type d’avion se pilotait avec les fesses! On disait que les meilleurs pilotes étaient issus de la cavalerie. Effectivement, habitués à sentir les mouvements du cheval sous leurs fesses, les pilotes avaient rapidement le sens de l’air dans leurs biplans sensibles aux mouvements aériens. L’entraînement pratique des futurs pilotes se faisait par étapes, d’abord en circulant au sol avec un avion aux ailes rognées pour éviter le décollage; ensuite, en faisant des sauts de puce, avant de prendre l’air véritablement et en ne commençant que par des petits vols en ligne droite. Les virages venaient par la suite en se fiant à cette fameuse bille qui devait toujours être au milieu! Petit cours 101 de pilotage : si dans un virage la bille part vers l’extérieur, on dérape; vers l’intérieur, on glisse. Au milieu? Parfait. Les axes de roulis et lacet se croisent sur le centre de gravité de l’appareil. Déraper ou glisser, à l’excès, ça mènerait à la fâcheuse mise en vrille. Alors se rappeler le fameux « dans un virage, le pied pousse la bille, le manche tire la bille »!  La formation durait de cinq à vingt heures en moyenne. L’aviation servait au début essentiellement pour l’observation, en utilisant des biplans biplaces lents et vulnérables, souvent sous la protection de biplans monoplaces, qu’on n’appelait pas des « chasseurs » à l’époque, mais plutôt des « scouts ».

 

Sur le tableau de bord du Nieuport, on voit ici la place, donc l’importance que prend l’instrument qui ne tombe jamais en panne : la bille, l’indicateur de la force d’inertie de l’appareil en virage.
Photo : Pierre Lapprand

Grumpy fait une vache

Si vous demandez à un vélivole français s’il a déjà « fait une vache », il vous comprendra. Aller aux vaches, ou faire une vache ou se vacher, veut dire « se poser d’urgence dans un champ ». Si un planeur se retrouve trop bas pour pouvoir rentrer au terrain d’aviation après avoir désespérément essayé d’enrouler une pompe (ascendance thermique) sous un cumulus pas assez joufflu, il devra alors se poser dans un champ. Les vaches, elles, sont très utiles pour détecter la direction du vent au sol puisqu’elles se mettent toujours le cul au vent! Un avion dont le moteur s’arrête devient un planeur occasionnel qu’il faut poser à tout prix dans les meilleures circonstances. Un bon sang-froid est de circonstance face à un taux de descente élevé, un champ à choisir vite, la rapidité des décisions à prendre…

Peter « Grumpy » Thornton se prépare à voler.
Photo : Pierre Lapprand

Le texte qui suit est en majeure partie inspiré de l’article écrit par le pilote Peter « Grumpy » Thornton qui subit la mésaventure suivante. Le 11 avril 2017, deux jours après avoir survolé le Mémorial de Vimy à bord d’un BB Nieuport, Grumpy venait de survoler le cimetière de Beaumont-Hamel où sont enterrés les jeunes hommes du 1er Bataillon du régiment de Terre-Neuve tombés au combat. Sur le chemin du retour vers l’aérodrome de Lens-Bénifontaine, à une altitude de 700 pieds, grosse explosion, hélice calée, moteur coupé. Heureusement s’offre devant lui la vue d’un beau terrain en herbe à côté d’un petit village. Grumpy y pose habilement et sans dommages son avion, qui planait aussi bien qu’un fer à repasser. Une fois remis de ses émotions et être descendu de son appareil, il découvre que l’hélice s’était brisée sous le choc créé par l’impact du cône d’hélice qui s’était détaché et avait décidé de rester en France. Malgré cette malchance et fort heureusement, aucun impact ne l’avait frappé, ni lui, ni les ailes, ni aucune autre partie critique de son avion. Par contre, et comme par miracle, un impact avait coupé la tête du distributeur de carburant du moteur, ce qui l’avait stoppé net aussitôt, et c’était pour le mieux. (Les Nieuport de Vol Vimy sont équipés de moteurs Volkswagen.) Note : le fait d’avoir un moteur en marche avec une hélice soudainement cassée entraîne des vibrations tellement excessives que celui-ci finit par s’arracher plongeant l’avion vers une perte de contrôle menant au désastre.

Autre surprise, alors qu’il s’attendait à voir accourir des gens comme dans les films d’époque, personne ne venait! Il conclut avec humour qu’après deux guerres mondiales, les Français avaient l’habitude de voir des avions se poser d’urgence dans les champs. Aussi, avec le retour de ces aviateurs canadiens, il valait peut-être mieux mettre la gent féminine à l’abri! Notre pilote se rendit au village (Ransart) de 400 habitants, qui semblait désert. Il finit par y rencontrer des gens et devint vite l’attraction locale du jour. Disons que ça n’arrive pas tous les jours qu’un pilote canadien en combinaison de vol ayant posé son biplan dans le champ d’à côté se promène par là. Il revint à son avion, accompagné de toute une délégation, dont madame la maire de Ransart, et y retrouva ses coéquipiers déjà en train de remplacer l’hélice. Puis un genre de comité de crise se mit en place et grâce à l’intervention de deux sympathiques représentants du ministère de la Direction générale de l’Aviation civile venus sur place et en grande communication avec Paris, tout s’organisa pour autoriser un décollage sur place. Arrivèrent alors des gendarmes, des pompiers et une ambulance. Soudain, un journaliste. Par chance, Grumpy, qui en avait déjà trop vu ce jour-là, trouva un endroit où se cacher des médias, c’est-à-dire derrière un tas de fumier! Ce sera alors un autre pilote, Larry Ricker, qui se portera volontaire pour être interviewé, qui aura sa photo dans le journal local du lendemain comme étant celui qui avait atterri d’urgence! Grumpy voulait redécoller depuis un champ plus convenable pour ce type d’appareil et non depuis un aéroport. Les discussions interminables avec Paris s’éternisaient. À la fin du jour, il fallut que l’avion reste sur place pour la nuit et qu’il soit gardé contre les éventuels chasseurs de souvenirs. Le lendemain matin, le comité de crise s’était élargi d’encore plus de membres. Paris était d’accord pour un décollage sur place, mais il fallait obtenir les accords de la maire du village et du fermier propriétaire du champ. Pas de problème. Il fallait que ce champ devienne un aérodrome temporaire, avec désignation IATA et manche à air (portative). Pas de problème non plus. Le terrain fut baptisé XPF (Peter’s Field)! Ayant accompli un décollage parfaitement réussi, notre pilote aperçut le Mémorial de Vimy et décida de le survoler. Il y avait des centaines de personnes sur le site. Par un concours de circonstances digne de la magie du destin, il se trouva que ces gens étaient du ministère des Anciens Combattants et que son avion était apparu juste à la fin du discours de leur hôte, le général à la retraite Mike Jorgensen. Comme le dit si bien Peter Thornton, « Il y a des moments dans la vie de chaque homme quand il sent un plus grand pouvoir dans le contrôle de sa destinée, et celle-ci était la mienne ».

 

Dale Erhart et Peter Thornton, heureux et émus de leur visite en France et de l’effet produit sur les gens lors de leur tournée pancanadienne de Vol Vimy.
Photo : Pierre Lapprand

 

La rencontre de deux époques de l’aviation, 1917 et 2017. Nieuport XI et CF-18 démo aux couleurs du 150e du Canada.
Photo : Pierre Lapprand

 

Sources et remerciements : Les Ailes d’époque du Canada, Vol Vimy, dont particulièrement Peter Thornton, Larry Ricker et Bernada Bilic, la biographie Barker VC de Wayne Ralph, le journal La Voix du Nord et Wikipédia.