Dans le dernier numéro, j’ai mentionné que je vous reviendrais avec les récits d’un incident au décollage d’une piste de brousse qui aurait pu avoir ses conséquences et le point culminant de notre périple. Alors, assoyez-vous confortablement dans votre siège, attachez votre ceinture, on redécolle!
Jour 6. Après trois jours passés dans le décor grandiose du parc national Kuururjuaq, nous poursuivons notre périple dans le Nunavik. En ce matin du 4 juillet, le soleil est radieux, on charge l’avion et un confrère me transmet les dernières informations météo sur mon appareil InReach. Je fais mon inspection extérieure, mes listes de vérification, remonte la piste en terre battue et mets les gaz. Je remarque au roulage que les commandes sont rigides et je dois tirer fermement pour lever le nez de l’avion. À l’envol, je dois encore appliquer une force inhabituelle pour ajuster mon angle de montée. La gouverne de profondeur fonctionne, mais son mouvement est difficile et saccadé. À partir de ce moment, je sais que quelque chose cloche. Comme l’avion monte normalement à l’aide du compensateur et de la puissance, et que l’altitude sera ma meilleure alliée, je décide de monter à 8000 pieds. Je maintiens également le plan de vol initial, direction Kangiqsualujjuaq (CYLU) via un passage à la chute près du camp Barnoin, la plus haute du Nunavik. Ce détour négligeable me permettra de me familiariser avec les commandes et de planifier mon atterrissage. À l’approche de CYLU, le Rdo ne signale aucun trafic aux alentours. J’étire donc mon vent arrière pour effectuer une très longue finale, stabilise mon approche et pose mon oiseau tout en douceur. À la descente de l’avion, tout s’explique! Une branche s’est coincée entre le plan fixe et la gouverne de profondeur au décollage. Morale de l’histoire? Même si la probabilité que cela se produise est infime, merci aux instructeurs de mes différentes formations d’avoir simulé des blocages de la gouverne de profondeur!
Nous prenons le reste de la journée pour visiter Kangiqsualujjuaq, une communauté de 950 Inuits. Outre les maisons bleues, rouges et jaunes très voyantes, ce qui nous frappe est le va-et-vient des citernes entre la station de pompage et les habitations pour l’approvisionnement en eau potable. Nous passons par la Coop en fin d’après-midi pour acheter des victuailles et rentrons au chalet loué à Claude et Eleonora, qui nous ont réservé de l’omble chevalier fumé la veille. Pur délice!
Jour 7 et 8. Nous décollons tôt en direction de Kuujjuaq (CYVP). Le ciel est radieux et nous avons une vue imprenable sur la baie d’Ungava. Nous survolons les rivières à la Baleine, False et Koksoak avant d’arriver à Kuujjuaq, la « métropole » du Nunavik, avec ses 2700 habitants. Nous faisons une première tournée des alentours en après-midi. Le lendemain, nous marchons plus de 10 km dans les rues de la ville avec des visites aux bureaux de Parcs Nunavik, à la Coop et la boutique d’art Tivi. Les écoles, les équipements sportifs et le centre médical sont modernes et plusieurs maisons sont en construction. Nous constatons que la ville est bien organisée.
Jours 9 et 10. Tôt le matin, nous transférons 206 litres de carburant, seulement disponible en baril, dans les réservoirs de l’avion et nos contenants de réserve. Aujourd’hui, nous mettons le cap sur Kangiqsujuaq (CYKG) via un survol du parc national des Pingualuit. À mi-chemin, je signale ma position, car un DASH-8 d’Air Inuit décolle de Kangirsuk. Le pilote me demande alors : « ZWL, que faites-vous dans les parages en C-172? » Je lui explique brièvement notre périple et il nous répond : « Wow, ça c’est de l’aventure! En cinq ans, c’est la première fois que je croise un C-172 ici; bienvenue au Nunavik! » Après deux heures et demie à voler au-dessus des affleurements rocheux et d’une toundra dépourvue d’arbres, nous apercevons la rivière de Puvirnituq, qui coule dans un magnifique canyon de 120 m. Nous prenons ensuite un cap sud et voyons apparaître le mythique cratère des Pingualuit, créé par l’impact d’une météorite il y a 1,3 million d’années. Parfaitement rond, il arbore une eau d’un bleu royal éclatant, au beau milieu d’un paysage lunaire. L’image est saisissante et c’est sans contredit le point culminant de notre voyage. Après avoir fait le tour trois fois, nous nous dirigeons vers CYKG, où nous irons explorer le village pour le reste de la journée. Le lendemain, nous allons pêcher l’omble chevalier avec Atami, un guide inuk très sympathique. Nous tirons l’ancre dans une baie et la scène est surréelle : une dizaine de caribous déambulent sur la berge pendant que nous taquinons le poisson. Quelle expérience incroyable!
Jour 11. Nous entreprenons aujourd’hui notre voyage de retour, mais par un itinéraire différent. Au départ de CYKG, nous avons d’abord une vue splendide sur le détroit d’Hudson, entre le Québec et l’île de Baffin. Nous survolons ensuite Kangirsuk, atterrissons à Aupaluk (CYLA), le plus petit village du Nunavik (210 habitants), pour une courte pause, puis repartons pour Kuujjuaq, où nous prenons le dîner avant de repartir pour la pourvoirie Mirage, à 550 km au sud. Sur le trajet, les épinettes noires commencent à réapparaître et nous croisons la rivière Caniapiscau, le lac Bienville ainsi que les réservoirs Laforge 1 et La Grande 4. Nous atterrissons à la pourvoirie (CPM3) à 19 h, où nous recevons un accueil des plus chaleureux.
Jour 12. Nous quittons le Mirage après le déjeuner, en cette dernière journée de notre aventure. Nous croisons les rivières Eastmain et Tichégami avant d’apercevoir le lac Mistassini, plus grand plan d’eau naturel du Québec, long de 161 km et d’une superficie de 2335 km2; impressionnant! Nous atterrissons ensuite à Rivière Témiscamie (CRT2) pour dîner, avant de redécoller pour Dolbeau (CYDO). Sur le trajet, nous voyons apparaître graduellement les chemins forestiers, les parterres de coupes et, au loin, le majestueux lac Saint-Jean. Nous faisons un dernier plein à CYDO et redécollons pour notre destination finale, sous la pluie. À notre entrée dans la zone de Trois-Rivières, je prends les informations et Pierre, de l’UNICOM, nous lance « bon retour à la maison ZWL! » Nous rentrons ZWL dans le hangar et c’est la fin d’un vol-voyage mémorable.
Je retiendrai de ce périple des paysages fabuleux, plus grands que nature, les Inuits, des gens chaleureux, avides de partager leur culture, et cette confrérie qui règne dans le ciel du nord. Et maintenant, la question existentielle : où irons-nous, Luc, la prochaine fois?
Par Pierre Magnan