Pilote de Corsair dans le Pacifique (1re partie)
En janvier 1945, en Europe, les Alliés se dirigeaient progressivement vers une victoire définitive contre les nazis. Par contre, de l’autre côté du monde, dans le Pacifique, la guerre faisait rage. Les Japonais avaient étendu leurs conquêtes territoriales au sud-ouest jusqu’à Sumatra, en Indonésie occidentale, où ils s’étaient approprié les raffineries de pétrole de Palembang et de Pangkalan Brandan à Sumatra (près de Singapour) pour leur approvisionnement en carburant. Ils en dépendaient énormément; ces raffineries produisaient au moins la moitié du carburant qu’ils consommaient, dont les trois quarts pour leur aviation. Il devint alors prioritaire pour les Alliés de détruire ces raffineries. La Flotte britannique du Pacifique (British Task Force 63) y apporta ce qui allait être sa plus grande contribution, conduisant à la victoire de la Deuxième Guerre mondiale : l’opération Meridian.
Les deux raffineries les plus importantes étaient celles de Gerong et Pladjoe, à Palembang. La Fleet Air Arm y envoya une flotte comprenant quatre porte-avions, H.M.S. Indomitable, Victorious, Illustrious et Indefatigable. Cette armada, comprenant aussi des bateaux de combat croiseurs et destroyers, fut le plus grand rassemblement de navires de guerre de la Royal Navy de la Deuxième Guerre mondiale (244 avions furent employés pour attaquer l’ennemi les 24 et 29 janvier 1945 (Opérations Meridian 1 et 2). Parmi eux, il y avait des bombardiers Avenger munis chacun de quatre bombes de 500 lb, escortés par des Corsair et des Hellcat, ainsi que des Fairey Firefly, avec leurs roquettes de 60 lb, qui avaient le double rôle de protection et d’attaque au sol. D’autres Corsair avaient pour mission de canarder les avions japonais au sol en les attaquant par surprise. Si d’un côté le prix fut élevé chez les Alliés avec la perte de 41 appareils (16 au combat, 11 amerrissages (pour éviter à tout prix d’être capturé par l’ennemi) et 14 crashs à l’appontage, tuant 34 aviateurs), il en coûta plus chez les Japonais avec 140 appareils détruits ainsi que la perte d’un gros pétrolier et de plusieurs navires marchands. Mais, et surtout, l’une des raffineries fut stoppée pendant trois mois et une autre complètement mise hors service. À la suite de ces attaques, on estime que les deux tiers de l’approvisionnement en carburant destiné à l’aviation japonaise furent détruits. Quatre mois plus tard, la raffinerie de Palembang ne fournissait plus que la moitié de sa production. Le succès de cette mission ne fut pas le fruit d’une tâche facile. Les Japonais avaient installé une vaste défense de canons anti-aériens et avaient hérissé le site avec des ballons de barrage. Aussi, le fait d’avoir défait l’aviation japonaise dans cette région parachevait le succès de cette mission. L’opération avait réussi grâce à une bonne planification, au courage des aviateurs et au remarquable leadership du vice-amiral Sir L. Vian (sic amiral Arthur J. Power).
Opération Meridian
Repoussée plusieurs jours à cause d’une mauvaise météo, notamment des pluies torrentielles et des plafonds bas, finalement la première attaque put avoir lieu le 24 janvier à 6 h du matin. L’absence de vent rendit les décollages plus difficiles. Y participèrent 43 bombardiers Avenger des escadrons 857, 820, 849 et 854, des Hellcat de l’escadron 1844 escortés par 50 Hellcat et Corsair des escadrons 1834, 1836, 1830 et 1839, en plus des Supermarine Seafire des escadrons 887 et 894 précédés et suivis par 12 Fairey-Firefly de l’escadron 1770 et des Corsair de l’escadron 1833. Les Corsair dédiés aux attaques au sol provenaient des escadrons 1833, 1830, 1834 et 1836. L’escadrille avait le soleil de dos. Les bombardiers plongèrent de 9000 à 3000 pieds pour larguer leurs bombes. Et parmi les 12 pilotes de Corsair de l’escadron 1830 du porte-avions H.M.S. Illustrious qui devaient accomplir les attaques au sol (ramrods) des terrains d’aviation japonais, il y en avait un, en particulier, que j’ai eu la chance et le privilège de connaître, soit le lieutenant Hugh « Moe » Pawson. Voyons le parcours de la carrière de ce pilote.
Pilote de Corsair en temps de guerre
Alors qu’il était étudiant à l’Université de Toronto à l’automne 1940 et que la guerre avait déjà commencé, Hugh Pawson décida de s’engager dans la force aéronavale de la Marine britannique (Royal Navy Fleet Air Arm, RNFAA) en tant que réserviste volontaire de la Marine royale du Canada. Il frétillait d’impatience de devenir pilote. L’attente fut longue; ce fut seulement au printemps 1942 qu’il se rendit enfin en train à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, pour s’embarquer pour l’Angleterre. Après avoir traversé l’Atlantique Nord, alors infesté de sous-marins U-Boat allemands, il aboutit finalement à l’école H.M.S. St-Vincent de Gosport, près de Portsmouth, pour entamer ses cours théoriques de pilotage. Mais on était en pleine guerre en Europe et tous les terrains d’aviation étaient opérationnels. Il fut alors décidé que les cours d’instruction de pilotage de la RNFAA seraient donnés soit à Kingston (SFTS 31) au Canada, soit aux États-Unis. Hugh fut heureux d’être envoyé en octobre 1942 à Grosse-Île, dans l’État du Michigan, au sein de l’US Navy pour enfin débuter ses cours de pilote. Son premier vol eut lieu le 10 novembre 1942 à bord d’un biplan N3N1 (fabriqué par la Naval Aircraft Factory). Il fut encore plus heureux de se retrouver plus tard en Floride, à Pensacola, pour achever sa formation de pilote à bord des avions d’instruction avancée Vultee SNV-1, surnommés les « vibrateurs »! Il vola pour la première fois sur l’un d’eux le 19 avril 1943. Ce fut après un entraînement poussé que Hugh obtint ses ailes de pilote de la force aéronavale des États-Unis, à Pensacola, le 4 août 1943, au bout de 229 heurs 24 minutes à bord respectivement de N3N Naval Aircraft Factory, N2-S Stearman, NP-1 Spartan, SNV-1 Vultee Valiant et SNJ-3 (T-6).
Enfin pilote de chasse
Le premier chasseur sur lequel il vola fut un Brewster F2A Buffalo, le 7 septembre 1943. Le 22 septembre, il débuta l’instruction théorique du cockpit de Martlet V, dénomination canadienne du Wildcat F4F, à bord duquel il vola pour la première fois le 4 octobre 43, à Lewiston (Maine). Il n’avait alors que 310 heures de vol au total. (Voir mon article sur le Wildcat dans l’édition précédente du magazine Aviation). Il subit un crash au décollage le 6 octobre. Mais dès le lendemain, il accomplissait déjà un vol d’acrobatie aérienne à bord d’un Martlet. Il avait moins de 20 heures de vol sur ce type d’appareil quand il fit enfin son premier vol en Corsair le 30 novembre 1943, à Brunswick (Maine), un vol de familiarisation d’une demi-heure. Rappelons qu’à cette époque, le Corsair était l’un des avions les plus puissants et robustes disponibles en service, une véritable bête de somme munie d’un moteur Pratt et Whitney de 2250 ch et pourvu d’un système hydraulique, capable d’emporter jusqu’à 910 kilos de bombes et huit roquettes : un avion d’assaut idéal avec ses six mitrailleuses de calibre 50.
Prochaine partie : suite de la carrière du pilote Hugh Pawson et son rôle dans l’opération Meridian