Coup de Cœur du Magazine Aviation
Originaire de Shawinigan, ce fringant quadragénaire cumule près de 9000 heures de vol, dont 1200 aux commandes du légendaire Canadair CL215. Père de cinq enfants, il conjugue avec harmonie, et avec l’appui de son épouse, vie de famille et pilotage professionnel.
Rien ne destinait vraiment Martin Forget à devenir pilote. Engagé très jeune par son père dans la compagnie d’excavation familiale, il apprend à manier tellement bien une tractopelle qu’on le surnomme Pépine. Un surnom qui lui collera longtemps à la peau, même dans le milieu de l’aviation ! Faisant fi des études supérieures, le jeune homme travaille dur au gré des contrats. C’est en participant à la réfection de la piste de Trois-Rivières (CYRQ), vers 1996, qu’il découvre l’aéronautique. Émerveillé, celui-ci décide ultérieurement de s’inscrire à un cours de pilotage chez Nadeau Air Service. Nous sommes en 1998. C’est le regretté Michel Nadeau qui le formera. Contrairement à son frère aîné ayant également suivi une formation de pilote auparavant, Martin abandonne les manettes des excavatrices pour se consacrer au pilotage professionnel. Licence en poche, il est engagé par Aviation Mauricie (CSL3). Pendant quatre ans, il emmène des touristes en balade à bord de Cessna 206 et Beaver sur flotteurs. Cette expérience initiale lui permet de monter de nombreuses heures hydro. Vient ensuite l’époque de la Pourvoirie Mirage (LG-4) et de son premier appareil turbopropulsé : un De Havilland Turbo Otter. Sur skis et sur flotteurs, durant une année, le Shawiniganais perfectionne sa technique et engrange de précieuses heures de turbine.
Coup de chance !
Engagé ensuite chez Air Tindi, une compagnie sise à Yellowknife (CYZF), Martin fait de l’évacuation sanitaire ou médévac en Beechcraft King Air 200. Un jour, le hasard ou la baraka met sur son chemin un pilote de Canadair CL-215. Ce dernier vole chez Buffalo Airways. Cette compagnie se trouve tout à côté. Une rencontre avec l’assistant chef pilote débouche, dans la foulée, par un contrat d’embauche. La formation théorique sur le gros bombardier d’eau dure 2 semaines. Incorporée aux équipages en service, la recrue débute comme copilote. Bilingue (grâce aux 2 ans passés au Kansas dans sa jeunesse), notre Québécois s’intègre sans problème. Les années filent avec leur cortège d’aventures dans le ciel. Comme, par exemple, le jour où Martin a effectué 86 écopages et largages en seulement trois heures et demie. Mathématiquement, cela revient à une rotation toutes les 2 min 44 s, un ballet incessant à basse altitude entre l’eau et le feu avec, en prime, force turbulences et moult fumée ! Pour info, sur un CL-215, la vitesse de droppage est comprise entre 105 et 120 kias (194 et 222 km/h) avec un max de 129 kias (239 km/h). Tout ça très souvent aux grands angles avec une visibilité marginale, un faible taux de montée (500 pi/min – 2,54 m/sec) et – bien entendu – à pleine charge !
Du Grand Nord à l’Arctique
Martin Forget a également piloté des Air Tractor 802 configurés pour lutter contre les incendies. Une saison qu’il n’a pas appréciée, car cet avion ne semble pas vraiment conçu pour ce type d’opérations. Manquant de portance et très sensible aux turbulences de sillage (lors de vols en formation), le monoturbopropulsé est réputé dangereux. On répertorie d’ailleurs plusieurs graves accidents, dont certains ont été fatals… En revanche, piloter un Lockheed Electra lui ressemble davantage : une première mission dont ce pompier du ciel s’est acquitté avec brio, cet été, alors qu’il était basé à Hay River (Territoires du Nord-Ouest) avec femme et enfants ! Car Marie-Ange, l’épouse de Martin – en plus d’assurer son rôle de maman à plein temps – se charge de faire la classe aux 3 filles et 2 garçons, à la maison comme en bivouac. Quelle énergie, mais aussi quel résultat ! Bien éduquée, cette joyeuse fratrie fait sans conteste honneur à ses parents. À l’heure où ces lignes seront publiées, Martin sera déjà reparti pour une nouvelle destination. Cap au Sud. Très au Sud ! Un voyage de 60 heures en DC-3 l’aura mené du Canada au pôle Sud.
Là-bas, sur la glace de l’Antarctique – à quelque 11 000 pi d’altitude (3 353 m) et à flanc de montagne – ses collègues russes, américains ou canadiens, comme lui, défieront l’été austral (vent, froid et lumière du jour 24 heures sur 24) à bord d’avions multi-missions. Quatre mois d’isolement relatif aux confins du monde ! Malgré tout, cette vie parfois rude lui convient pleinement. Et tellement de pilotes aimeraient être à sa place. Bravo Martin !
Texte et photos : Richard Saint-George