À l’hiver 1943, Andrew Carswell et John McMahon, deux membres d’équipage de deux Lancaster différents réussirent à se parachuter hors de leurs appareils respectifs en feu, au-dessus de l’Allemagne. Par pure coïncidence, ces deux aviateurs aboutirent dans le même camp de prisonniers à Lamsdorf en Silésie (Pologne actuelle) au Stalag Luft VIIIB. Ils ont habité le même baraquement 15A pendant deux ans. Plus tard, ils ont également vécu et survécu à la Marche de la mort de Lamsdorf, au début 1945, lorsque ce camp dut être évacué à l’approche des alliés russes. Voici la suite de leur histoire.
La Marche de la mort de Lamsdorf
Mi-janvier 1945, comme les Russes approchaient, les prisonniers reçurent un cours préavis de trois heures d’un ordre d’évacuation complète du camp. Ce fut le début d’une marche forcée pour 40 000 hommes, par groupes de 250 à 300. Ils devaient parcourir de 20 à 40 km par jour. Or, cet hiver-là en était un particulièrement rigoureux. Beaucoup d’entre eux marchèrent plus de 800 km au total! Ce fut la triste et célèbre Marche de la mort de Lamsdorf. Cette évacuation massive vers l’ouest de prisonniers mal vêtus, affamés, épuisés et malades pour la plupart faisait partie des marches forcées d’évacuation de plusieurs camps de prisonniers dans cette région de l’Allemagne. Bien qu’il n’y ait pas de statistiques exactes, plusieurs centaines de personnes y laissèrent leur vie. Qu’est-il arrivé à nos deux aviateurs? Le 26 ou 28 février, dans la nuit et le froid, John McMahon tomba d’épuisement dans un fossé. Il pensait qu’il allait mourir. Mais un peu plus tard, alors qu’un attelage passait sur la route, le cheval s’arrêta net, « sentant » quelque chose. Il fut trouvé, ramassé et remis à la Croix-Rouge. Plus tard, il apprendra que la personne qui l’avait sauvé était une femme (d’où le titre de son livre Who was the unknown woman?). Le 2 avril 1945, il passa sous le contrôle de l’armée américaine. Il ne pesait plus que 112 livres.
De son côté, Andrew Carswell avait passablement souffert lui aussi. Vers la fin de février, il était à peine capable de se tenir debout. Il souffrait de dysenterie et tremblait de fièvre. Son visage et ses yeux étaient jaunes. Presque ignorés par leurs gardes, lui et d’autres aussi épuisés que lui s’assirent au bord de la route; ils furent évacués par charrette et par train. Ils restèrent plusieurs heures sans boire ni manger dans des wagons de marchandises. En gare de Halberstadt, le train fut attaqué par six Mustang. La locomotive explosa et environ 24 prisonniers furent tués. Andrew Carswell assista souvent au survol de bombardiers de nuit et de jour et il apercevait de plus en plus de chasseurs de faible autonomie voler au ras des arbres. Les prisonniers avaient à peine à manger. Un jour, alors très affamé, il échangea sa montre Rolex Oyster contre deux miches de pain frais, un geste qu’il ne regrettera jamais. Ce fut « un des meilleurs repas de ma vie ». Mi-avril 45, il fut enfin libéré grâce à l’arrivée de la Deuxième Armée britannique du général Montgomery.
L’opération Exodus
Mise en place par le Bomber Command le 4 mai 1945, cette opération avait pour but de rapatrier en Angleterre tous les prisonniers de guerre. Près de 72 500 furent rapatriés au cours de 2900 vols pendant 23 jours. La RAF consacra un aéroport près d’Oxford en Angleterre pour les recueillir, le Wing Airport. C’est là qu’Andrew Carswell arriva le 19 avril 1945. Reconnaissant d’être libéré, heureux d’avoir été invité à faire une partie du vol comme copilote à bord du Dakota, lors de son vol de retour, allait s’ajouter la belle surprise d’avoir une hôtesse attitrée qui allait s’occuper de l’accueillir et de le guider à travers toutes les formalités, les repas et l’hébergement. Chaque ex-prisonnier était pris en charge par un membre de la Force féminine auxiliaire de la RAF (WAAF). Par la suite, le rapatriement des Canadiens eut lieu au port de Bournemouth.
Une fois relevé de ses fonctions militaires en septembre 1945, Andrew Carswell devint instructeur de vol au Toronto Island Airport, puis se réengagea comme pilote en 1947 dans l’ARC pour accomplir des vols de photographies et surveillance dans le Nord et l’Arctique canadien, et pour étudier les variations du pôle Nord magnétique. Il fut basé à Rockcliffe, puis muté à la base de Sea Island, près de Vancouver, où il a piloté le PBY Canso. Le 1er juillet 1959, il reçut la Croix de l’Aviation des mains de la reine d’Angleterre. Retraité de l’armée en 1970 à l’âge de 47 ans, au grade de major, il a ensuite rejoint Transports Canada à titre d’inspecteur de l’aviation, d’où il prit sa retraite définitive en 1988.
De son côté, John McMahon fut de retour chez lui un peu avant le jour de la victoire du 8 mai 1945. Il fut relevé de ses fonctions militaires le 25 août 1945 et s’est marié un mois après. Il a émigré au Canada en 1952 et s’est installé en Colombie-Britannique. Retraité en 1983, il fit un voyage en Hollande pour se recueillir sur les tombes de ses six camarades d’équipage au cimetière proche de Nijmegen. Aussi, il retrouva en Allemagne la famille qui l’avait secouru, la maison où il fut recueilli et le lieu du crash de son Lancaster près de Kesseling, au sud de Cologne. Après des recherches d’archives, il put même retrouver le nom du pilote allemand qui les avait abattus depuis son chasseur de nuit Messerschmitt 110 et il entra en contact avec lui fin 1984.
Au cours des seuls six derniers mois de 1940, les pertes du Bomber Command furent énormes : 330 appareils, 1400 aviateurs listés comme tués, manquants ou capturés. En tout, de 1939 à 1945, le Bomber Command effectua plus de 300 000 sorties, impliquant plus de 125 000 aviateurs. Plus de 55 000 d’entre eux furent tués et 18 000 blessés ou prisonniers. Plus de 9000 appareils furent perdus. Plus de 40 % des équipages furent tués. (Réf. : RAF Bomber Command Losses of the Second World War by W.R. Chorley). Qu’on ne les oublie jamais!
Remerciements au Canadian Warplane Heritage Museum, aux Ailes d’époque du Canada et à son PDG (CEO) Peter Allen.