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Didier Delsalle, en 2005, devant F-WQEX.

Le 14 mai 2005, il posait les patins d’un Eurocopter AS350-B3 Écureuil sur le Toit du monde. Un exploit minutieusement préparé, fruit d’un travail d’équipe. Profil du pilote et flash-back de l’événement avec abrégé technique.

Didier Delsalle naît à Aix-en-Provence, en 1957. Fils d’un mécanicien de l’Aéronavale, il ne reste pas longtemps dans le sud de la France. Au gré des mutations professionnelles paternelles, le garçon découvre moult horizons, connaît d’autres bases, fait de nouvelles rencontres. Les avions demeurent omniprésents. Tout jeune, il n’envisage pas d’autre carrière que celle de pilote. Il sera exaucé.

 

Des premiers vols aux premiers essais

 Bac en poche, crédité de Math Sup et Math Spé, il réussit le concours de l’ENAC (École nationale de l’aviation civile). La voie

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Airbus Hélicoptère AS350 B3 Écureuil, en évolution au dessus d’un glacier dans l’himalaya

royale pour intégrer Air France. Manque de chance, à peine l’examen théorique de pilote de ligne bouclé, le prestigieux établissement restreint le programme des stages. Il se tourne alors vers l’Armée de l’Air qui, sur concours également, le recrute. Mudry Cap 10, Aérospatiale-Potez Fouga, Lockheed T-33, Dassault/Dornier Alpha Jet et un peu de Dassault Mirage III achèveront sa formation initiale, mais aussi… ses vertèbres cervicales. Exit la chasse. Pas vraiment le bienvenu dans le clan des transporteurs militaires, le jeune officier est, ô surprise, réorienté vers les hélicoptères. La transition lui plaît et il prend vite goût aux rotors. Nous sommes au début des années 1980. Très intéressé par la mécanique du vol, Didier Delsalle satisfait sa curiosité en entrant à l’EPNER (École du personnel navigant d’essais et de réception). Fondé en 1946, cet autre établissement français est l’une des rares écoles dans le monde où l’on forme des pilotes d’essai. Les années passent, les missions s’enchaînent, l’expérience s’acquiert. En 1997, sur des conseils avisés, il ne rempile pas dans l’Armée de l’Air, mais joint plutôt les rangs d’Eurocopter. De nouveaux défis l’attendent en tant que pilote d’essai expérimental. C’est en 2003 que germe l’idée de se poser sur l’Everest. Les ultimes progrès en matière de motorisation autorisent maintenant certaines audaces. Rappelons que le record absolu d’altitude (12 442 m – 40 820 pi) en hélicoptère, encore inégalé en 2015, date de 1972. On le doit à Jean Boulet, alors aux commandes d’un Lama SA 315B – déjà un Eurocopter!

 

Logistique, repérage et témérité

Appuyé dans ce projet par plusieurs personnes, dont la directrice des communications de la marque, Didier Delsalle doit se battre pendant deux ans pour convaincre la direction. Patience et longueur de temps… Les réserves des détracteurs semblent justifiées par le risque humain de l’entreprise, l’aspect financier de l’opération, mais aussi par les retombées négatives que pourrait engendrer un échec technique. Finalement, l’Inde cherchant un hélicoptère pouvant travailler en haute altitude, les prétentions du pilote d’essai et de ses comparses deviennent propices.

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Approche finale avant le touch prolongé à 29 029 pi (8848 m).

Le marketing à la rescousse des grands desseins! Le OK entériné, commence alors l’entraînement au-dessus du relief français. La machine retenue pour la prouesse en devenir se résume à un AS 350-B3 Écureuil de série. Mis à part la dépose des sièges passagers, du capitonnage, des doubles commandes et du remplacement des patins par de plus petits – soit un délestage de 120 kg (265 lb) – plus la désactivation de certaines protections logicielles du calculateur de la Turbomeca Arriel B1, tout est d’origine. D’ailleurs, l’appareil, immatriculé (à l’époque) F-WQEX, appartient à un futur opérateur commercial. Celui-ci a été loué pour l’occasion. Acheminé sur les ailes d’Air France Cargo jusqu’à New Delhi, il est remonté dans l’un des hangars aéroportuaires. De justesse, car une violente tempête de sable détruit les lieux. Plus de peur que de mal : aucun blessé et seulement quelques bosses sur la carlingue. Après cet incident, on convoie le monoturbine à Lukla, au Népal. L’aérodrome local (LUA), situé au pied de l’Everest, s’apparente à un altiport. Altitude : 9383 pi (2860 m). C’est de là que se poursuivent les vols d’entraînement. Sur les conseils d’un collègue instructeur ayant formé les pilotes d’hélico de l’armée népalaise, D. Delsalle s’accoutume au massif et peaufine sa technique. Durant cette période, il se paye même le luxe de pulvériser le record, en date, du plus haut atterrissage en hélicoptère : 7925 m, soit 26 000 pi. Un autre jour, il ramène deux alpinistes japonais aux prises avec le mal des montagnes. Quelques saines frousses sont aussi au rendez-vous : rabattants impressionnants, IMC soudaine au ras des parois, vents violents, etc. Pourtant, la détermination demeure. Bientôt, le jour J et l’heure H…

 

Un certain matin de mai

Le cinquième mois de l’année, cher aux romantiques, n’a rien de transcendant dans l’Himalaya. C’est néanmoins le moment le plus adapté pour grimper ou voler jusqu’au sommet de Sagarmatha – l’Everest, en népalais. Le 12, un galop d’essai permet d’approcher encore davantage les lieux, d’amadouer les crêtes, de flirter avec le terrain – celui constituant le dernier camp, ce carré d’où s’élancent, pour l’assaut final, ou s’affaissent dans un dernier salut, les bipèdes de l’impossible. Deux jours plus tard, une fenêtre météo autorise la tentative. Point de cordée sur le trajet. Donc, dans le cas peu probable où l’Écureuil déclencherait une avalanche, aucun risque que des grimpeurs soient emportés! Lever de l’équipe à 4 h. Les âmes fébriles préparent la machine. À 6 h 32, sanglé sur son siège, Didier Delsalle décolle vers le nord. Autorisations obligent, il est accompagné d’un inspecteur népalais et d’un membre de l’expédition. Ceux-ci descendront à mi-parcours. Après une brève halte, le pilote désormais seul à bord prend de l’altitude, laissant derrière lui la vallée Dudh Koshi. Le moteur répond bien, mais, par mesure de précaution, le désembuage du pare-brise et encore moins le chauffage ne sont sollicités. « Toute la puissance du moteur devait partir dans le rotor », m’explique D. Delsalle. Par conséquent, afin d’éviter givre et buée en cabine, les fenêtres coulissantes restent ouvertes. Il fait -20 °C dans le B3 mais, emmitouflé dans quatre couches de vêtements, botté convenablement, protégé par son casque et le masque à oxygène, le pilote ne souffre pas du froid. Concentré sur le but à atteindre, mais aussi sur les paramètres du moteur, il monte en cadence. Déjà, le sommet emplit le pare-brise. Les turbulences s’intensifient. Les pales mordent dans l’air raréfié. Sa faible densité dégrade évidemment les performances générales, mais pas suffisamment pour empêcher l’ascension. Pourtant, à cette altitude, c’est comme si l’hélicoptère pesait deux fois plus.

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En vue du plus haut sommet du monde…

Ne se sentant pas rejeté par la montagne (sic), Didier Delsalle approche à tâtons, effleure le sommet, s’invente un repère (en l’occurrence, une bouteille d’oxygène à moitié ensevelie dans la neige) et surveille la TIT. Tous ses sens demeurent à l’affût. Enfin, il abaisse gentiment le collectif et plante un des patins dans la neige. Pas deux, car la place manque! Le pic est abrupt. Altitude : 8848 m (29 029 pi). Il est 7 h 8. Dès lors, il faut maintenir cette position plus qu’instable et compter lentement jusqu’à 120. Pas question de chronométrer les 2 minutes requises pour homologuer le record! Impossible de quitter les mains des commandes. Le temps s’étire. On imagine le degré de tension. La Turbomeca assure. Les rotors itou. Si une extinction survenait, il faudrait plonger du bon côté (celui dominé par les vents ascendants et non l’inverse) et redescendre en autorotation. En cas d’échec, pas question d’espérer un quelconque secours. De toute façon, la réserve d’oxygène embarquée ne permettrait à personne de survivre plus d’une heure. Le corps du pilote, caparaçonné dans sa bulle, rejoindrait alors la cohorte des cadavres congelés jonchant les flancs de l’Everest… Puis, voici (enfin) le moment de repartir. La machine s’élève sans rechigner. Le courant-jet, relativement modéré en cette saison, n’éjecte pas F-WQEX. Cinquante-huit minutes après le décollage, l’homme rejoint la civilisation. Le chaleureux accueil fait rapidement place à la déception. L’enregistreur baro/GPS a fait défaut. Et même si les caméras ont capté l’exploit, cela ne permettra pas de l’homologuer auprès de la Fédération aéronautique internationale (FAI). Qu’à cela ne tienne! L’aventurier décide d’y retourner dès le lendemain matin. Les conditions météorologiques, quoique plus instables, n’empêcheront pas le pilote de réitérer la délicate manoeuvre. Une victoire bissée car, lors du premier assaut, l’instrument incriminé avait bel et bien fonctionné. Bravo Monsieur Delsalle!