Suivant un récent sondage parmi les membres de l’AOPA, 53 % d’entre eux aspirent un jour ou l’autre à effectuer leur vol de rêve dans les îles tropicales; j’en suis également. Mais en février dernier, passionné de cette ambition, j’ai décidé d’effectuer une traversée à partir de Fort Lauderdale vers Long Island, au Bahamas. Mon appareil étant aux États-Unis depuis le début de l’hiver, le vol ne s’annonçait pas trop long.
Le choix des îles à visiter fut déterminé à la suite de la lecture de commentaires et de rapports de voyages d’autres pilotes sur le Web. Bien entendu, j’éprouvais une certaine aversion relativement aux procédures d’immigration américaines et bahamiennes, mais une brève visite à la base d’opérations Banyan, à l’aéroport exécutif de Fort Lauderdale, me rassura suffisamment pour tenter seul l’expérience.
Cet endroit sert souvent de point de départ pour les Bahamas, notamment en raison des douanes situées à cet aéroport. Banyan offre en plus la location de vestes et de canots de sauvetage (requis légalement). À tout événement, le personnel a assemblé une chemise de documents qu’on remet gratuitement à tout intéressé désireux de faire le voyage. Ce
kit de voyage contient les formulaires de douanes, les déclarations pour les passagers ainsi que les précieuses directives des procédures de sortie et d’entrée; en complément, on trouve de nombreuses brochures promotionnelles des Bahamas.
Il existe, bien sûr, des entreprises privées qui peuvent agir d’intermédiaires pour l’organisation de pareils voyages comme Air Journey, Caribbean Flying Adventures ou Caribbean Sky Tours, qui offrent tous des services de style concierge, mais après avoir visité leur site et pris connaissance de leurs tarifs, j’ai opté pour tout organiser moi-même.
Accompagné de ma conjointe, j’ai donc décollé le 19 février 2015 par temps clair, de KFXE à destination de MYLS. Ma route, sélectionnée à l’aide de l’application Foreflight, devait me conduire sur Bimini, et de là vers la pointe nord-ouest de l’île d’Andros, Nassau et ensuite le chapelet des Exumas jusqu’à ma destination, Stella Maris, situé à la pointe nord de Long Island. En tout, la distance à parcourir au-dessus de l’eau était de 326 milles…
Cela prend un certain temps, je l’avoue, pour s’habituer à l’immensité bleue survolée, mais l’on s’y fait. Mis à part une trentaine de minutes sporadiques sans voir de terre, la plus grande partie du vol s’est déroulé à distance planée d’îles ou de navires rencontrés sur le trajet. Contrairement à la croyance populaire, non mon moteur n’a émis aucun bruit étrange durant le parcours… après tout, sait-il seulement que nous sommes au-dessus de l’océan?
J’avais pour ma part déposé un plan de vol aux instruments pour, il va sans dire, bénéficier de l’encadrement de l’ATC, mais comme la majorité de la météo des îles est VFR, j’aurais aussi pu déposer un plan de vol DVFR (International) et demander le suivi radar, également disponible. On peut déposer en contactant au téléphone Lockheed Martin, mais comme mentionné précédemment, j’ai utilisé Foreflight, convivial et efficace.
Complémentairement, j’ai requis l’autorisation de quitter le territoire américain en déposant une notice of departure aux services des douanes par l’intermédiaire de l’application EAPIS; cette dernière, pas très conviviale, requiert un peu de pratique pour en comprendre le fonctionnement, mais tout s’apprend… Cette procédure est obligatoire et de sévères amendes sont prévues pour les contrevenants. En prendre note.
Immédiatement après le décollage effectué sur la 27, l’on m’a transféré aux départs de Miami sur 119.7, aiguillé vers le nord-ouest et puis finalement vers l’est pour dégager la zone de Fort Lauderdale. On m’a par la suite relayé à Miami Center, Nassau Radio et à nouveau Miami Center avec lesquels j’ai fermé le plan de vol, en descente vers ma destination. Miami Center assure le suivi radar partout sur le territoire des Bahamas à toute altitude supérieure à 6000 pieds. Très rassurant… La fréquence la plus courante, toutefois, est 122.8 sur laquelle la plupart des appareils transitant la région rapportent leur position, altitude et destination.
La fascination que l’on éprouve à survoler les Exumas est sans pareille; cette bande d’îles décorée de récifs et de bancs de sable offre aux yeux un spectacle unique. Quel amalgame de teintes et de dégradés, du bleu profond au turquoise, au bleu pâle et au blanc délavé. On se sent vraiment privilégié comme pilote privé de les survoler et de vivre pareille aventure, surtout à basse altitude. Un peu partout, des îles privées avec souvent des pistes adjacentes jalonnent le parcours, agrémentées par d’innombrables voiliers garnissant de petites baies çà et là. Quel beau tableau!
L’approche de l’aéroport de Stella Maris se fait par le travers du Cap Santa Maria, lequel recèle une des plus belles plages de sable blanc au monde. La piste est bien dégagée, pavée d’un amalgame d’asphalte et de gravier local, la rendant poreuse et, à mon avis, bien abrasive. Attention aux atterrissages brutaux si on ne veut pas y laisser trop de caoutchouc! Un FBO assure le service et la sécurité des lieux. L’essence est également disponible (rare dans les Bahamas…) à prix compétitif et les frais de stationnement nocturne sont de 10 $ pour les monomoteurs.
Trois hôtels se partagent le tourisme de Long Island. Deux sont à proximité de l’aéroport, soit le Stella Maris Resort et, un peu plus au nord, le Cape Santa Maria Resort. Tous deux offrent des unités et des services de grande qualité, mais comptent peu de chambres comparativement aux complexes touristiques habituels. Ils offrent des rabais aux pilotes de 10 à 15 % sur leurs prix réguliers et sont inscrits au programme de crédit de 300 $ pour pilotes privés du Département du tourisme bahamien.
L’autre hôtel, Chez Pierre, est situé à 30 minutes de route plus au sud, du côté ouest de l’île, sur une plage déserte, face à la mer des Bahamas et de l’Atlantique. On y accède par une route (lire une trail) peu carrossable de 3 km à partir de la voie principale. Cet endroit est la propriété d’un Québécois qui s’y est installé il y a 17 ans. Autrefois restaurateur à Montréal, Pierre Fortier a trouvé ce coin de paradis pour y nicher son rêve de vivre dans les îles des Bahamas. Pierre, très flexible pour les réservations (il consent sans frais à reporter les dates d’hébergement si le mauvais temps occasionnel nous empêche de voler), y a construit six pavillons individuels qui font face à la mer ainsi qu’un petit lodge pour la détente et les repas. L’endroit sert également de restaurant dont la cuisine est prisée sur l’île. Un séjour Chez Pierre est ce qu’il y a de plus près de la vie d’un naufragé… un véritable bain d’isolement, de silence et de nature à l’état vierge… La nuit, la voûte céleste s’étend de l’horizon au zénith, confondant ciel et mer; avis aux amateurs d’astronomie!
Nous avons séjourné cinq nuits Chez Pierre et deux au Stella Maris. Il faut visiter l’île en voiture. Nous en avons loué une pour cinq jours (75 $ par jour) et nous nous sommes rendus au Dean’s Hole, gouffre sous-marin (Blue Hole) situé dans une baie intérieure où se tiennent annuellement des compétitions mondiales de plongée en apnée, à quelques plages intérieures bien dissimulées ainsi qu’à la spectaculaire plage de Cape Santa Maria, laquelle vaut le voyage à elle seule. L’île est majoritairement habitée par des Bahamiens de souche, dont de nombreux descendants des loyalistes américains. Les gens sont agréables et amicaux. À titre d’exemple, les conducteurs qui se croisent sur la route se saluent tous. À retenir.
Après un séjour inoubliable sur cette île, nous avons ensuite décollé pour Staniel Cay, une île des Exumas réputée pour sa marina, véritable Mecque des plaisanciers des mers du Sud. Celle-ci se rejoint en longeant les Exumas vers le nord, à environ 30 minutes de Long Island. L’approche est bien dégagée et, encore une fois, la piste, longue et large, est bien visible à dix milles de distance; impossible donc de ne pas la localiser. Contrairement à ce que l’on peut lire sur les médias sociaux, cette destination ne vaut pas nécessairement plus d’une nuit.
La notoriété de cet endroit repose essentiellement sur les installations du Staniel Cay Yacht Club, resort agréable, mais où il est pratiquement impossible de réserver une villa sans s’y prendre une année à l’avance… Le bar est bien coloré et agréable, composant un décor tout droit sorti des mélodies de Jimmy Buffet. Sur les quais, on voit flotter les bateaux des plaisanciers sur des eaux d’une limpidité étonnante. Ici et là, des requins-nourrices s’y baladent ou dorment en dessous des coques, patientant pour cueillir les surplus de table des navigateurs. Intéressant tout de même.
Le lendemain, à l’approche d’un front froid qui commençait à recouvrir l’île, nous avons décollé en direction est vers Cat Island, plus précisément vers l’aéroport de New Bight. Après une quinzaine de minutes, les nuages, dont la base au décollage se situait à 1800 pieds, se dissipèrent et c’est par un beau ciel parsemé de nuages épars que nous nous sommes posés 30 minutes plus tard.
L’aéroport, encore une fois, est bien visible de loin, long et large avec un bon dégagement latéral. Tony Armbrister, propriétaire du Fernandez Bay Village, site de villégiature que nous avions sélectionné avant notre départ de Staniel Cay, capta notre compte rendu de position sur la fréquence générale et se présenta à notre avion avec sa camionnette, peu après avoir éteint le moteur.
Après un bref passage aux douanes pour faire estampiller notre formulaire C7A, obligatoire à chaque escale, nous avons rejoint notre pavillon situé face à la mer, à quelques pas seulement du bâtiment d’accueil et des installations de restauration. Comment décrire cet endroit autrement que par l’originalité de sa construction en pierres locales et par la salle de bain des unités, située à l’extérieur, en plein air, tout en étant isolée des regards par un muret. Différent!
Après trois journées de relaxation totale, il fut convenu de rentrer à Fort Lauderdale. Le vol fut planifié pour le retour encore une fois avec l’application Foreflight, laquelle suggéra une route directe vers le VOR de Nassau, puis direct KFXE. Presque trop simple. Avant de quitter pour retourner sur le continent, certaines formalités sont toutefois à prévoir : quantité d’essence, notification d’arrivée aux États-Unis avec l’EAPIS et le paiement d’un droit de sortie aux douanes (29 $ par personne). Il n’y a pas d’essence à New Bight, mais comme le plein avait été fait en quittant Stella Maris, il restait dans les réservoirs 3 h 45 d’essence pour un voyage anticipé de 1 h 50. Aucun problème.
Le plan de vol fut déposé par Foreflight, via le Wi-Fi de l’hôtel et, après avoir obtenu le code discret de l’officier des douanes de l’aéroport de destination, nous décollions quelques minutes plus tard avec un vent de face de plus de 20 nœuds.
À noter en passant, je n’ai pas fait de plan de vol pour les sauts d’une île à l’autre, ces derniers étant effectués davantage à basse altitude (moins de 3000 pieds) avec presque constamment une terre en vue; je transmettais toutefois ma position régulièrement sur 122.8. En montée vers mon altitude de croisière de retour, déterminée à 10 000 pieds (par prudence pour un long vol au-dessus de l’eau), je captai la fréquence de Miami Center en passant 3000 pieds, obtint mon autorisation ainsi qu’un cap direct pour la procédure d’approche publiée pour KFXE. En mode VFR, le plan de vol aurait ainsi été activé et le suivi radar assuré jusqu’à destination. Pas plus compliqué.
Le vol se déroula dans des conditions idéales, peu de nuages, turbulence absente et une visibilité sans limites. Quel spectacle encore de contempler cette nature marine et d’observer ce coin du monde si isolé et peu accessible pour la plupart des gens. Survoler ces étendues se veut la récompense totale du pilote et, sans nul doute, le couronnement des efforts déployés pour la formation et l’apprentissage constant.
L’approche à Fort Lauderdale se fit par ciel fragmenté en fin d’avant-midi, cumulus à 2000 pieds, comme c’est courant en hiver. Une fois au sol, le premier arrêt fut obligatoirement au poste des douanes, situé sur le côté sud de la piste. Le moteur arrêté, il faut alors sortir tous les bagages et se présenter au comptoir de vérification. On produit alors la déclaration d’entrée (papier bleu), les passeports et occasionnellement, il est requis de produire les documents de l’avion. Une fouille sommaire des valises suit le tout et, en quelques minutes, on est libre de quitter.
Recommandations
Pour ceux désireux comme moi de réaliser pareil rêve, je souligne et recommande de bien s’y préparer. Un voyage semblable comporte deux volets sensibles : le premier est la préparation à la survie en cas d’amerrissage forcé; le second, la gestion des procédures douanières et d’immigration. Évidemment, il faut avoir également pris soin de bien choisir son ou ses îles, avoir les bagages appropriés et (important) ne pas oublier le chasse-moustiques le plus puissant que l’on puisse se procurer… Eh oui, malheureusement, il y a un bémol au paradis! Tôt le matin et en début de soirée apparaissent de minuscules mouches noires (les No-Seen), tellement petites qu’elles passent au travers des moustiquaires. Rien n’est décidément parfait dans ce bas monde!
Le Règlement de l’air américain prescrit d’avoir à son bord une veste de sauvetage par personne lorsqu’on entend survoler de façon prolongée une surface d’eau à moins de 10 milles des côtes et un canot de sauvetage, pour tout vol au-delà de cette distance.
BON À SAVOIR
Pour se rendre aux États-Unis :
- Il faut s’inscrire aux douanes et obtenir le collant réglementaire;
- Ouvrir un compte EAPIS (sur le Web) et fournir les détails requis;
- Au moins 24 heures avant le départ, déposer une notice of arrival par la plateforme EAPIS;
- S’assurer que le premier arrêt aux États-Unis s’effectuera dans un aéroport disposant de facilités douanières (liste disponible sur Internet);
- Déposer un plan de vol international (avec la FSS ou par une des plateformes disponibles, comme Pltplan.com ou Foreflight)
- Communiquer avec un agent des douanes à la destination pour confirmer l’heure d’arrivée avant le décollage.
Pour se rendre aux Bahamas :
- Déposer un plan de vol international en s’assurant que l’aéroport de destination aux Bahamas dispose de facilités douanières;
- Obtenir une notice of departure par la plateforme EAPIS;
- S’assurer d’avoir à bord les équipements de survie requis;
- Demander le suivi radar au Miami Center jusqu’à la destination;
- Il n’est pas essentiel de disposer de la documentation douanière à l’avance : celle-ci vous sera remise par les officiers douaniers à l’arrivée. Prévoyez un paiement de 50 $ US par appareil à l’arrivée et un paiement de 29 $ US par personne au départ;
- Pour transiter d’une île à l’autre, toujours avoir en main le formulaire C7A (qui vous sera remis estampillé à l’arrivée) et le faire valider à chaque destination.
Retour des Bahamas :
- Déposer un plan de vol vers la destination sélectionnée aux États-Unis;
- Obtenir une notice of arrival par la plateforme EAPIS;
- Contacter par téléphone, avant le départ, un officier des douanes américaines à la destination choisie et obtenir le code discret (code transpondeur et mot de passe). Cela est très important;
- Obtenir des douanes bahamiennes l’autorisation de quitter;
- Activer le plan de vol avec Nassau Radio ou Miami Center.
Retour au Canada :
- Déposer un plan de vol vers un aéroport canadien disposant de facilités douanières ou de facilités CANPASS (si vous êtes inscrit);
- Obtenir une notice of departure par la plateforme EAPIS;
- Contacter par téléphone CANPASS avant le décollage.
Les informations ci-dessus sont un résumé succinct des procédures; différents autres détails pourraient être requis.